Portrait de Jean-François ChantaraudUn homme en recherche de sens
Dire que le pouvoir dépend du savoir serait un truisme. Néanmoins, les nouveaux systèmes informatiques et téléphoniques autorisent le partage technique de l’information, ce qui engendre une attente culturelle de participation, laquelle génère une nécessité de transformer les lieux de pouvoir. Partout, les systèmes politiques entrent en rupture avec la société, car ils ne prennent pas en compte cette nécessaire redistribution de l’information. Dans tous les pays et dans toutes les entreprises, la légitimité des dirigeants est percutée par ces techniques nouvelles. Jean-François Chantaraud veut refonder la légitimité des décideurs sur de nouvelles bases, afin qu’ils puissent catalyser les changements sociaux, pour bâtir un vivre ensemble et un réussir ensemble. Il voit là l’opportunité d’ajouter un nouvel étage à la démocratie pour qu’elle intègre et implique le citoyen dans la cité.
Un homme en recherche de sens
Jean-François Chantaraud a un parcours étonnant en plusieurs facettes. Rentré des Etats-Unis avec des contrats de distribution de produits informatiques (les disques durs Core…) pour l’Europe, il se découvre un engouement pour l’action entrepreneuriale et crée plusieurs sociétés. A 25 ans, ses activités vont de la construction de parcours de golf à l’évènementiel en passant par l’optronique où il détient plusieurs brevets et collabore avec le CEA.
Ce succès entrepreneurial l’amène à donner des conférences pour partager son expérience d’entrepreneur. Il rencontre ainsi des chefs d’entreprise au profil similaire et. Ensemble, ils décident de fonder la Société des Jeunes Entrepreneurs afin de réfléchir aux moyens de faciliter la création d’entreprise. Mais, lorsque l’on réfléchit à plusieurs sur un sujet de société, on arrive toujours vite au carrefour des intérêts particuliers : défendre son intérêt corporatiste ou bien intégrer les intérêts d’autres composantes de la société et adresser l’intérêt général. Pour construire des propositions efficaces à long terme, il faut alors se mettre en lien avec l’ensemble des autres parties prenantes. Avec quelques-uns, Jean-François Chantaraud choisit la complexité : il quitte la Société des Jeunes Entrepreneurs pour constituer l’Association des Citoyens en juillet 1990. Ce qu’il considère comme étant la plus importante des décisions de sa vie :
« Il faut toucher la partie citoyenne de chaque personne ». Et on ne parle pas de citoyenneté limitée au territoire national, mais de faire en sorte que le citoyen soit responsable de toute la cité. Cela suppose que chacun se projette dans l’intérêt général de proximité, mais aussi dans des cercles plus éloignés. A l’ère de la mondialisation, autant dire que chaque personne doit être responsable de toute la planète et de toute l’humanité. Pour traiter la dimension européenne, il initie un « chèque-pétition » en ECU. L’appel fait mouche : plusieurs milliers de chèques d’un montant de deux ECU sont collectés, dont celui de Pierre Bérégovoy, alors ministre de l’Economie. Fort de cette réussite, il expérimente alors l’ECU comme monnaie d’échange dans le périmètre de villes le temps d’un week-end. L’objectif est de vérifier que les citoyens veulent une monnaie européenne, pour ne plus être tributaires des taux de change et de la domination du dollar dans le commerce international.
Très vite, l’Association des Citoyens organise aussi des tables rondes toutes les semaines sur de nouveaux sujets de société. Il est convenu chaque fois de faire une place aux experts envoyés par les groupes parlementaires, les partis politiques, les grandes maisons d’édition, les grands organismes de recherche scientifique, les pouvoirs publics, les associations d’élus, des grandes écoles, des médias. Chacun relayant l’invitation dans son propre réseau, le public s’élargit pour constituer un réseau de citoyens actifs, au-delà des clivages partisans. De ce premier programme de recherche appliquée, Jean-François Chantaraud formalise deux types de savoirs :
- L’analyse du système politique français : si le plus souvent les élus s’avèrent les meilleurs experts dans leur domaine de prédilection, et mieux, leurs diagnostics et leurs propositions ne différent presque pas, alors qu’est-ce qui bloque ? Si le problème est posé et la solution trouvée, il reste pourtant impossible de l’implémenter tant que les citoyens n’y adhèrent pas. C’est le quiproquo de la démocratie : le politique demeure impuissant tant que la prise de conscience et la prise en main des enjeux ne sont pas partagées à tous les niveaux de la société. L’efficacité d’un système politique dépend donc directement de la qualité du débat public qu’il permet ;
- Des principes fondamentaux du dialogue : comment organiser la réflexion collective entre des personnes aux statuts, expériences et savoirs variés, pour bâtir ensemble un raisonnement partagé et parvenir à des propositions ambitieuses communes.
Non partisan et non lobbyiste, ce nouveau lieu de débats entraine l’intérêt de tous les participants mais, son équation économique est des plus ardues, car personne n’estime de sa responsabilité de financer la recherche de l’intérêt général. Aux « tu ne fais pas de la mais du politique » et « tu n’es pas lobbyiste », Chantaraud renchérira : « je suis un insurgé du manque de bon sens ». Un élément explicatif à cette ferveur ? Une mésaventure au collège où, en classe de quatrième, son professeur principal échange les bonnes notes de Jean-François avec celles du dernier de la classe. Il vit alors pendant quelques jours une injustice collective, mais sans conséquence. Et ce genre d’injustice sans gravité, il en souhaite à tout le monde. Drôle de souhait ? Lui en a tiré une sacrée leçon : « Il est possible que tout le monde se trompe. Il est possible que celui que tout le monde admire soit un usurpateur, que celui que tout le monde conspue aie raison ». Voilà la source de son engagement à donner la parole à tous, avec bienveillance et sans complaisance.
De fait, Jean-François Chantaraud s’est donné comme dessein de « faire avancer le juste dans un monde où règnent intérêts particuliers et réseaux d’amitiés », de travailler au respect de l’innovation et des voix dissonantes. En organisant le débat de façon professionnelle depuis 1995. Avec l’Odis, depuis plus de 20 ans, il conseille des dirigeants des sphères économiques, sociales, associatives et politiques. Il les métamorphose en faisant advenir un saut qualitatif de leur vision du monde, de leur place et de leur mode d’intervention dans le monde. Il les fait entrer dans un niveau supérieur de complexité en les aidant à retirer le voile qui leur masque une partie de la réalité : il agit comme un producteur d’apocalypse (du grec apo (loin de) et calypse (le voile)). Une telle rupture identitaire les installe à long terme en situation d’assumer un nouveau paradigme tendu vers l’intérêt général. Et ces « transfigurés » se réunissent au sein de l’association rebaptisée l’Odissée et reconnue d’intérêt général en 2006.
Parmi ses réussites, son travail avec la CFE-CGC en 2011-2012 : le syndicat des cadres déploie depuis son intervention une démarche de « nouveau dialogue » et n’est plus depuis descendue manifester dans la rue. Ou encore en 2003, l’Odis reprend les travaux de la mission parlementaire Fournier sur le problème alors épineux du fonctionnement des sapeurs-pompiers. Il trouve rapidement le consensus là où le dialogue était rompu. Chantaraud gagne la confiance du ministère du Ministère de l’Intérieur et l’implique dans la construction d’un diagnostic partagé avec les citoyens de tous bords aux cotés de la présidence du Sénat, avec laquelle il coorganisait déjà les Rencontres sénatoriales de l’entreprise : c’est le début de la production des rapports L’état social publiés aux Editions des Journaux Officiels. Depuis, sept rapports ont résulté de cette vaste démarche de recherche appliquée et de débat public consistant à Comprendre et développer la Personne, l’Entreprise et la Société.
Ni consultant, ni sociologue ou économiste, Jean-François Chantaraud est un organisateur, un expert et un militant du dialogue et de l’intelligence sociale. Comprendre le lien social et le faire tendre vers la recherche de l’intérêt général est pour lui un chemin de vie.