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La laïcité ici et maintenantSynthèse du Forum citoyen de Rosny sous Bois du 21 janvier 2004

C’est en présence du maire de Rosny, Claude PERNES, que l’Observatoire du Dialogue Social (ODIS) a débuté un tour de France sur la citoyenneté par une première étape sur le thème : la laïcité ici et aujourd’hui. Ce forum s’inscrit dans la démarche des Trophées du dialogue et de l’Engagement et vient alimenter la rédaction du rapport annuel L’état social de la France.

Soucieux d’engager le dialogue avec les citoyens, Monsieur PERNES, dans son allocution d’ouverture, a présenté l’originalité de cet échange en proposant aux personnes de l’assemblée, venues nombreuses pour l’occasion, de prendre la parole en toute franchise afin de créer un réel échange permettant à chacun de mieux comprendre la laïcité et pour mieux en définir les déclinaisons au quotidien. Avant de commencer le débat, Jean-François CHANTARAUD, directeur de l’ODIS, a présenté une synthèse des contributions reçues suite à l’appel lancé sur Internet et lors des inscriptions au forum.
Un rendez-vous d'un nouveau genre : débat très riche
Après une question générale : «Etes-vous pour ou contre une loi sur la laïcité ? », qui a permis de vérifier que l’assemblée était partagée, le public a pris la parole pendant plus de deux heures.
La salle, découvrant rapidement un nouveau style de débat ouvert dans lequel l’échange respectueux est possible, s’est animée et beaucoup voulaient s’emparer du micro pour s’exprimer librement. Associatifs, enseignants, élus, jeunes et moins jeunes, des personnes se réclamant de toutes les religions se sont ensuite exprimées.

Synthèse des échanges 

Le débat fut entamé par Monsieur le Député, Robert PANDRAUD, qui indiqua son inquiétude face au développement de l’intégrisme. D’après lui, des prises de position d’ordre religieux peuvent être assimilées au soutien de l’une des parties prenantes des conflits (Proche Orient, Irak, Afghanistan) et peuvent donc entraîner de dangereux débordements. «De grâce» a t-il souligné, «que ces types de conflits, ne rentrent pas dans nos écoles». Un enseignant rappela le contenu des arrêts du conseil d’Etat et des circulaires Bayrou de 1994 afin de montrer que les textes de loi sur la laïcité existent et qu’il suffirait d’après lui de les appliquer.

Le voile, sujet prégnant...

Un jeune musulman a parlé au nom de jeunes filles pour dire que « c’est librement qu’elles choisissent de porter ou non le voile et qu’elles n’y sont pas contraintes ». Ce qui amena à la question suivante : « pourquoi est-ce vous et non pas elles mêmes qui sont là pour nous le dire ? ». Considérant la France comme un pays de partage, de liberté permettant à tous les citoyens de participer sur tous les sujets (remarque souvent reprise durant le débat) une jeune musulmane a répliqué que certaines femmes ne peuvent se soustraire au port du voile du fait de la pression de leur famille et de leur quartier. Elle fut relayée par une autre jeune femme rapportant sa propre expérience d’étudiante à l’école coranique, qui fut obligée de la quitter parce qu’elle refusait de le porter. Elle a insisté sur le fait que ses propres parents, qui ont soutenu son choix, lors de leur arrivée en France, ont accepté les règles du pays et ont, en conséquence, réussi leur intégration. Une jeune femme convertie à l’islam, pour qui le port du voile est donc volontaire, a insisté sur l’équité de sa religion : « chez les musulmans, nous sommes tous égaux en droit  devant Dieu ». Il y a des difficultés en raison de la grande proximité/promiscuité de religions diverses, mais elle croit en la capacité de la France à gérer les conflits et considère qu’elle doit se comporter vis à vis des citoyens comme une mère avec ses enfants, les mettant tous sur un pied d’égalité et leur donnant à chacun les mêmes chances. A la question : «que fait la mère en cas de discorde ou d’un manque de respect de la part de l’un d’entre eux ?».  Elle répondit en ch½ur avec l’assemblée : «elle intervient »...
Jacques MARTIN, maire de Nogent, a rappelé qu’il a demandé à une femme arrivée voilée à la mairie d’enlever son voile pour la cérémonie de son mariage, sous peine de lui refuser l’union. Quelques personnes lui ont alors immédiatement reproché « d’interdire une femme de mariage parce qu’elle est voilée », estimant « très grave cet acte d’exclusion des musulmans ». A ce moment, Monsieur PERNES est intervenu pour rappeler que toute personne se présentant dans un établissement public, doit avoir le visage découvert. Jacques MARTIN a ensuite remémoré à tous les faits : « la personne a retiré son voile et le mariage a eu lieu comme prévu ». Il a justifié son action par l’application du règlement français : « le mariage à la mairie est civil et non pas religieux ».

La connaissance et le respect d'autrui

Un intervenant israélite, représentant d’une association juive qui organise fréquemment des rencontres avec les autres communautés religieuses, a affirmé que les conflits juifs-arabes ont pour racine non pas la haine mais simplement l’ignorance de l’histoire et du fait religieux. Le débat sur la laïcité est, d’après lui, un faux débat aux conséquences désastreuses car entraînant des prises de positions plus tranchées. Comme beaucoup de personnes de l’assemblée, il a déploré que les lois existantes ne soit pas toujours respectées. Un intervenant protestant a provoqué l’émotion dans la salle, remémorant les nombreux conflits catholiques-protestants dans l’histoire de France, pour dire : « la France nous avait chassés. C’est grâce à la laïcité que nous avons pu avoir droit de cité et nous intégrer ».
Pour d’autres, il est important de rappeler que l’école est d’abord et avant tout un moyen d’élévation de l’homme et de la femme au rang de citoyens libres de leurs choix : « la laïcité constitue une condition essentielle et la principale garantie de l’égalité des religions ». Croire, pratiquer une religion doit être un choix personnel exercé librement. Une ancienne proviseur d’établissement scolaire a insisté sur l’importance du temps consacré à dialoguer avec les jeunes pour leur faire comprendre que l’intégration commence par l’envie personnelle de s’adapter au système. Un directeur d’école a mentionné qu’en terme de sport, les refus de porter des tenues dévoilant certaines parties du corps ne sont pas forcément religieux mais parfois réellement dus à une pudeur féminine mais également masculine. Un intervenant d’origine kabyle a évoqué son récent voyage en Algérie où, dans les écoles, aucune jeune fille ne portait le voile : « leur tenue vestimentaire correspond à celle que l’on trouve dans toutes les écoles françaises ». Pour lui, fier d’être français, le port du voile est probablement lié à des mouvements intégristes religieux qui cherchent à créer la discorde et susciter une réaction discriminatoire. Même si cet objectif n’est pas visé de façon intentionnelle, il met en garde contre la spirale dramatique du rejet mutuel engendré par le port du voile. Plusieurs intervenants et intervenantes d’origine étrangère, maghrébine et européenne, aujourd’hui conseillers municipaux, salariés dans le public et le privé, ont rappelé leur fierté d’intégration sociale tout en précisant que pour y arriver il faut le vouloir : « comment demander à être intégré si l’on ne cherche pas à le faire soi-même ? »

La conclusion du Maire

Claude PERNES a souligné la qualité de l’échange et de l’enthousiasme du débat qui a dénoté de tout ce qui se fait habituellement. Il a rappelé le souci quotidien qui l’anime face aux enjeux de l’intégration. Il a mis en garde ceux ou celles qui ne voudraient pas tout faire pour s’intégrer : le cumul des blocages rencontrés ne pourra que réduire leur chance de vivre la vie qu’ils souhaitent. Cela implique l’importance des bonnes résolutions républicaines à prendre : respecter la loi, les enfants, l’école et aussi les jeunes filles et le voile.

Résumé

La vocation des lois républicaines est de faire régner la liberté, l’égalité et la fraternité mais plusieurs personnes ont indiqué qu’elles ne sont malheureusement pas toujours appliquées. Pour qu’il y ait intégration, l’effort doit être partagé entre l’accueilli et l’accueillant. Mais vouloir ne suffit pas : il faut le pouvoir. Or, l’ascenseur social dysfonctionne souvent. Nombreux sont nos concitoyens, quelque soit leur religion, qui ne réussissent pas à vivre la vie qu’ils choisissent. Se sentant rejetés par la société, ils risquent de la rejeter à leur tour, parfois en bloc, et se replier vers d’autres repères. Mises en échec, les valeurs démocratiques et républicaines se doivent de réagir. Si la loi constitue certes une réaction, permettra t-elle de réussir ce que nous indique l’article 2 de la constitution de 1958 dans lequel la laïcité impose à la république d’assurer : « l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, ou de religion » ?
Il conviendrait de déplacer le débat public vers le champs des principes au nom desquels chacun prend position. Si la laïcité suppose que personne ne donne de leçon en matière de croyances, elle suppose de déployer une méthode de réflexion critique collective. Cela n’est certes pas le chemin de la facilité, mais la laïcité n’est elle pas une exigence philosophique de la recherche jamais finie de la raison en n’omettant aucun argument ?

Réaction de Mohammed Arkoun, membre de la commission laïcité

Le débat n'aura pas d'issue rapide et pertinente tant qu'on ne se donnera pas les moyens d'examiner une question de fond évitée, ou simplement ignorée par la quasi totalité des protagonistes : les deux postures foi religieuse et "principe" de laïcité fonctionnent comme deux Magistères rivaux pour le contrôle de l'espace public et de l'espace privé. La notion de Magistère (domination d’un principe sur les autres) est capitale pour comprendre la genèse historique de la posture laïque comme Magistère intellectuel et cognitif "supérieur" et plus performant dans la gestion politique de la Cité que le Magistère religieux (théocratique) exercé par l'Eglise catholique depuis le Haut Moyen Âge (voir la Cité de Dieu de Saint Augustin, puis la Somme théologique de Thomas d'Acquin, réactivée par Jacques Maritain dans les années 1930 (L'Humanisme intégral) et le mouvement Esprit d'Emmanuel Mounier, J. M. Domenach, Paul Ricoeur...) Ces références historiques très éclairantes sur les enjeux intellectuels et spirituels de la confrontation des deux Magistères n'interviennent jamais; même la Commission Stasi n'a pas eu le temps de les prendre en considération pour faire valoir cette donnée massive, décisive que la pensée islamique n'a plus jamais connu les tensions éducatives entre les deux Magistères depuis le 13e siècle. Si bien que les Musulmans qui se contentent de dire que le port du voile est une obligation canonique de la foi transforment en requête indiscutable une question théologique qu'ils sont incapables de mettre en discussion face aux positions théoriques du Magistère laïque exercé par la République. En renvoyant cette confrontation au domaine privé, la conception militante de la laïcité refait un coup de force politique comme celui de la constitution civile du clergé sous la Révolution. De leur côté, les Musulmans font un coup de force également politique en imposant de façon dogmatique une attitude intolérable à un double titre :
   1) elle fait l'impasse sur le nécessaire réexamen d'un problème théologique et exégétique de fond;
   2) elle perturbe arbitrairement le fonctionnement d'un Magistère laïc dans elle refuse de respecter et éventuellement faire évoluer les conditions de légitimité.
On voit bien qu'avec cette approche critique radicale des légitimités opposées défendues par les deux Magistères, tous les protagonistes - y compris les Sicks, les Assyro-chaldéens, les rationalistes, les gestionnaires du laïcisme orthodoxe - sont également renvoyés à l'incontournable obligation intellectuelle de repenser leurs instances respectives de légitimité.

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