Observatoire du Dialogue
et de l'Intelligence Sociale
La raison la meilleure
devient la plus forte
?

La démocratie citoyenneI. De la démocratie en général Structurer le dialogue à grande échelle au sein d’un corps social revient à développer, modifier et même instaurer des mécanismes à caractère démocratique. La démocratie n'est pas unique, il en existe de nombreux modèles, plus ou moins producteurs de mieux réfléchir et de mieux vivre ensemble. Construire la démocratie citoyenne consiste à forger l'outil qui responsabilisera les personnes pour les transformer en citoyens participant à la construction d'une cité toujours meilleure. Afin de nous engager dans la voie de la réforme, définissons ce qu’est un citoyen, la finalité de la démocratie et ses principes de fonctionnement.

2. Démocraticité

De nombreuses organisations ou états autocratiques procèdent à des élections dont l’issue ne laisse aucun doute à personne. La démocratie ne se réduit donc pas au vote ; elle ne doit pas être jugée aux apparences, à la seule aune de la tenue d'un référendum ou du mode de désignation de ses représentants et chefs. Bien au-delà, elle doit s'assurer que les problèmes sont bien posés, que les meilleures idées sont cherchées, défendues et effectivement mises en place.

Participer au choix final n'est pas satisfaisant lorsque certains arguments ou options ont a priori été écartés et que les alternatives proposées ne paraissent pas pouvoir résoudre les problèmes perçus. Il convient donc d’adjoindre au vote deux composantes indispensables : une phase préalable d'écoute réelle et de réflexion constructive, puis un contrôle de l'application des décisions.

La démocraticité

La démocraticité d’une organisation est son niveau de démocratie. La démocraticité d’un corps social fait référence à la quantité et à la qualité de démocratie présente dans ses structures. C’est la capacité d'un  territoire ou d’une structure à organiser l’intégration des personnes, des faits, des expériences, des analyses, des idées, des croyances. La démocratie dépend de trois grandes séries de processus :

  • Les processus de réflexion préalable à la décision,
  • Les processus de décision,
  • Les processus de contrôle de l’application des décisions.
Apprécier la démocraticité d’une société ou d’un organisme suppose d’analyser chacun de ces processus, ainsi que leurs liens entre eux en les décomposant en trois critères de qualité fondamentaux : le nombre, la diversité des acteurs dotés d'une parcelle de pouvoir, et l'esprit qui les anime. La démocraticité s’élève avec la qualité des processus démocratiques. Les démocraties n'ont pas toutes le même niveau de démocraticité. Un système démocratique voit sa démocraticité évoluer à mesure qu’il se transforme. Analyser la démocraticité d’un territoire ou d’une organisation publique ou privée suppose de comprendre sa situation actuelle, son histoire et la nature de ses projets. Mesurer la démocraticité d’un corps social permet de faire des projections sur ses performances futures. Optimiser la démocraticité d’une organisation revient à développer ses performances à long terme

Comme Nietszche l'indiquait dans le Gai savoir , se comprendre et comprendre le monde est une tâche d'une complexité telle qu'il faudrait être surhumain pour y parvenir. Cela suppose d'inventer des rencontres d'un genre nouveau, réunissant des acteurs de toutes les sphères pour réfléchir ensemble, hors de la pression des enjeux de carrière et de pouvoir. Par ces nouveaux lieux et processus à inventer, ouverts à tous et résolument orientés vers la recherche de l'intérêt général à long terme, chacun découvrira de nouvelles réserves pour mieux se comprendre et mieux comprendre le monde, et se placer ainsi en situation de mieux développer simultanément sa personne, la structure professionnelle dans laquelle il évolue et la société dans son ensemble.

La nécessité de contre-pouvoirs forts

Depuis Nicolas Machiavel, « les hommes toujours se découvrent à la fin méchants, s'ils ne sont par nécessité contraints d'être bons ». Alain, lui aussi nous indique que « la démocratie est un effort perpétuel des gouvernés contre les abus du pouvoir ». Rousseau encore, nous explique que « comme la volonté particulière agit sans cesse contre l'intérêt général, le gouvernement fait un effort continuel contre la souveraineté... La ruse des gouvernants est vieille comme le monde » alors que celle des gouvernés, inorganisés, est si jeune, s'éveillant avec leur niveau de connaissance. Si l'on ne peut demander aux premiers d'être moins habiles, faisons en sorte que les seconds le soient davantage. Cela nécessite une vigilance de chacun, car le caractère expansionniste du pouvoir le conduit à prendre une place sans cesse plus large.

Pour autant, rien n'est simple. Voltaire affirmait en effet : « s’il fallait choisir, je détesterais moins la tyrannie d'un seul que celle de plusieurs. Un despote a toujours quelques bons moments ; une assemblée de despotes n'en a jamais ». En démocratie comme dans une dictature, par le jeu des partis organisés (politiques ou corporatistes), mettant la main sur les électeurs et les élus, l'omnipotence est omniprésente. La débusquer revient à améliorer le système.

Mais, sans voir le vice partout, trouver le meilleur chemin ne se résume pas à savoir conduire. Confucius disait, « on trouvera des hommes qui sauront facilement gouverner des empires; on en trouvera qui auront le courage de refuser les richesses et les dignités; on en trouvera peut-être qui marcheront impunément sur des glaives acérés, mais ce n'est que par un travail assidu, par de fréquents combats, qu'on se tiendra dans le juste milieu de la vertu, qu'on peut découvrir cependant au premier aspect ». Savoir réfléchir est tout autant important que pouvoir décider : les responsables, s'ils détiennent une véritable capacité d'action, doivent bénéficier des meilleurs conseils ; le peuple souverain doit l'assister.

Dans les démocraties actuelles, s'ils ne sont pas despotiques, les parlements et les gouvernements détiennent un pouvoir de décision qui peut paraitre autoritaire, pour faire abstraction de certains avis de citoyens.

De multiples contre-pouvoirs forts doivent améliorer la capacité de décision des dirigeants, sans entraver leur action, mais en participant entièrement à la recherche de l’intérêt général.

L'intelligence au pouvoir

Depuis toujours, les philosophes cherchent la vérité sans jamais la trouver. La conclusion de nombre d'entre eux est qu'elle n'existe pas. Tout du moins peut-on admettre que personne ne la détient seul et que l’on ne peut s’en approcher que par essais successifs. Le succès de cette quête dépend de la qualité de l'organisation du débat et de l'attitude des débatteurs.

La Bible affirme « qu’il y a de la sécurité dans la multiplicité des conseils ». Aristote nous indique : « il n'y a pas une méthode unique pour étudier les choses ». N'ayons pas peur des vérifications et contrargumentations, ni pour l'introspection - le « Connais‑toi toi‑même » de Chilon - ni pour la recherche du Bien commun : œillères et résistances à la remise en question interdisent l'approfondissement. Voltaire précise en effet : « le meilleur gouvernement est celui où il y a le moins d'hommes inutiles ». Alexis de Tocqueville renchérit : « il y a plus de lumière et de sagesse dans beaucoup d'hommes réunis que dans un seul ». De même qu'il faut des bras pour agir, il faut des cerveaux pour réfléchir. Plus la quantité activée de matière grise est importante, plus les idées circulent et mûrissent rapidement. Contraignant à des explications toujours plus claires, à la confrontation de points de vue différents, instaurant la concertation et l'entraide, le dialogue dessine l'horizon de la vérité.

En permettant aux esprits de se frotter les uns aux autres, les démocraties optimisent la recherche de solutions.

Des principes

Si les débats sont nécessaires, comment doivent-ils être organisés ? Dans le champ du dialogue, nous ne devons être certains d'aucune proposition, puisque c'est l'essence même du dialogue de ne rien laisser hors de question ; toute proposition doit être reçue, car chacune est nécessaire à l'ouverture du champ. Respecter l'autre et ses idées implique d'être impartial, sans a priori et constructif.

  1. Impartialité

Descartes écrivait : « Je sais combien nous sommes sujets à nous méprendre en ce qui nous touche, et combien aussi les jugements de nos amis nous doivent être suspects lorsqu'ils sont en notre faveur. » L'inclination naturelle de l'Homme est d'être indulgent avec ses amis et intransigeant avec ses ennemis, jusque et y compris à la veille ou au lendemain d'un changement de camp. Or, il faut dépasser cette partialité et savoir entendre ce qui est dit, et non pas seulement regarder qui parle. Si un bel emballage peut cacher un vice, à l'inverse, il arrive de trouver des merveilles sous la poussière. Si nous écoutons volontiers un orateur sympathique et drôle, à l’inverse notre attention baisse souvent pour les personnes qui nous paraissent antipathiques, et nous risquons ainsi de rejeter, sans les entendre, leurs arguments pertinents.

De la même façon, être majoritaire n'implique pas d'avoir raison. Pourtant, Jean de la Fontaine montrait comment « la raison du plus fort est toujours la meilleure », le loup trouvant de nombreux prétextes fallacieux pour parvenir à ses fins et manger l'agneau. Les sociétés ont souvent condamné les esprits en avance sur leur temps. L'on écoute rarement les vaincus et les minorités. Pourtant, être faible ou maladroit ne signifie pas avoir tort dans tous les domaines. L'histoire est pavée d'idées n'ayant pas été immédiatement entendues. Avoir raison avant les autres ne sert souvent à rien. Pire, cela entraine la mise à l’écart, si Socrate a dû boire la ciguë, de nombreux autres furent contraints à l’exil : Thémistocle le héros de Salamin, Thucydide le premier historien, Calvin, Galilée, Descartes, Rousseau, Voltaire, Marx, Hugo, Lénine, Willy Brandt ou de Gaulle…

Le penchant naturel à la subjectivité, très présent en cas d'affrontement bipolaire, a tendance à s'estomper avec la multiplicité des points de vue en présence : lorsque le débat est mieux circonscrit et plus ouvert, les arguments se multiplient, s'affinent puis se conjuguent sur un pied d’égalité, et les positions strictement partisanes s'avèrent alors plus difficiles à tenir.

Pas d’a priori

Comme nous changeons rarement par envie, il faut de solides arguments pour constater et admettre une erreur, puis du courage pour changer de direction. Lorsque le débat n'a pas lieu, nous ne sommes pas toujours confrontés aux faits, à la diversité des interprétations possibles, et la nécessité de se remettre en question est atténuée. Inversement, l'ouverture organisée aux idées nouvelles impose de creuser chaque idée sans à priori aucun et de développer la volonté de comprendre, comme Socrate par sa dialectique : « Arrête‑toi, mon ami, et causons un peu. Non d'une vérité que je détiendrais, non de l'essence cachée du monde, mais de ce que tu allais faire quand je t'ai rencontré. Tu croyais cela juste, beau, ou bon, puisque tu allais le faire; explique‑moi donc ce que c'est que justice, beauté, bonté ». La tentation est grande, pour nous tous, de monopoliser la parole. Mais, si l'on veut être entendu, il faut savoir écouter. Dans les évangiles, Jésus Christ dit: « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas que l'on vous fasse ». Comment être écouté si on refuse d'écouter ? Ou encore : « Que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre ». S'être trompé une fois dans un domaine ne signifie pas que l'on se trompera toujours dans tous les domaines. Inversement, avoir raison une fois ne présente en rien une garantie de capacité universelle. Qui donc ne s'est jamais trompé ? Personne n'a toujours raison.

La démocratie interdit toute vision étriquée des êtres et des choses. Elle suppose d'aimer non pas seulement ses proches, mais l’Homme en général, d'être suffisamment ouvert pour écouter sans a priori, apprendre des autres et aux autres. Elle induit, pour autrui comme pour soi, l'acceptation du droit à l'erreur, l'humilité et la tolérance. Elle s'oppose au refus de l'écoute et du dialogue, à l'obscurantisme et à l'intolérance.

L’esprit du doute

Un comportement de dialogue n'a pas pour finalité de convaincre l'autre du bien-fondé de notre point de vue, mais de construire en soi-même une attitude d'écoute pour progresser avec ses interlocuteurs vers le mieux. La démocratie n'est pas le moyen d'imposer son propre point de vue à autrui. Mettant les idées reçues de côté, elle implique la constante remise en question de soi et de ses opinions, aboutissant à des réponses toujours plus réalistes. Chacun désirant continuer à profiter de la société et prenant le temps d'écouter, la conscience est répandue qu'une ponction anormale au profit d'intérêts particuliers risque de détraquer l'ensemble.

La démocratie incite à la recherche de terrains d'entente, plutôt que de rester au simple stade de la critique en ne mettant l'accent que sur les points imparfaits. Une attitude démocratique suppose de ne jamais rejeter l'autre, mais de chercher les raisons pour lesquelles il y a mésentente, puis d'avoir la volonté positive de chercher l'accord le meilleur pour tous.

La valeur suprême de la démocratie est le doute. Aucune certitude n'existe en dehors du doute.

Constructitivité

Se tournant vers l'avenir et non vers le passé, il s’agit de ne pas se contenter d'analyser les dysfonctionnements, en évaluant les responsabilités et en distribuant les mauvais points, mais de chercher comment améliorer les choses. Les positions de chacun sont motivées : personne n'a d'avis sans raisons. Si elles sont bonnes, on progresse en les apprenant ; si elles sont mauvaises, en les connaissant et en ayant cherché à les comprendre, il est possible d'aider l'autre en lui apportant les informations qui lui manquent et les arguments qui sauront le convaincre. Dans les deux cas, il y a enrichissement personnel et général, car souvent l'un n'a pas plus raison que l'autre. Chacun part d'un point différent et suit son chemin logique. Jean Rostand écrivait : « chaque fois que nous entendons dire de deux choses l'une, empressons‑nous de penser que de deux choses, c'est vraisemblablement une troisième ». De la discussion jaillit la lumière : en confrontant constructivement deux points de vue différents, une troisième voie apparait, plus riche, construite grâce à l'échange. Il faut savoir tirer la complémentarité des différences. A l’intérieur de tous les cadres, la réflexion doit s'ouvrir. A l'image des ronds-points régulant mieux la circulation aux carrefours que les feux tricolores, la pensée et les questions ne doivent pas être fermées.

Les meilleurs systèmes reposent sur le triptyque dialogue, responsabilité, transparence. Chacun étant mécaniquement contraint au dialogue, l'information circule et la transparence s'impose d'elle‑même : les meilleures solutions émergent, sont comprises et l'adhésion est bien plus large.

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