Organiser le dialogue
 
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4. Vers un nouveau paradigme économique, social, politique

L’analyse des pays dans leur diversité montre que la clé prédictive de leur positionnement réside dans leur mode de gouvernance.

Les racines du lien social et de la performance

Sur la durée, le développement du Lien social et de la Performance d’un territoire se joue sur sa capacité à intégrer plus ou moins de faits et d’idées. Les niveaux de Lien social et de Performance dépendent de l’astreinte organisée et consentie  de chaque composante à assumer une plus ou moins grande diversité de sources d’informations.

C’est donc l’agencement des pouvoirs et des contre-pouvoirs au sein du corps social qui induit à la fois la nature du savoir-être ensemble, qui dépend de la capacité à se parler pour formuler et prendre en charge des diagnostics pertinents, ainsi que de la qualité des savoir-faire, qui reposent sur la faculté collective à proposer, s’approprier et prendre en main des solutions innovantes.

Les niveaux de performance et de lien social découlent ainsi de la capacité des territoires à :

  • mutualiser l’information et la réflexion en impliquant les acteurs dans le dialogue,
  • les mobiliser et les coordonner autour de l’intérêt général, en suscitant et en valorisant l’engagement pour le collectif.

Au regrd de cette situation, apparaît la caducité de la question de prioriser soit le lien social, soit la performance.

Les niveaux de lien social et de performance dépendent donc tous les deux d’un paramètre commun : le mode de gouvernance, qui organise la circulation des informations afin que chaque fait, chaque idée, chaque expérience, chaque savoir-faire, chaque personne et chaque énergie trouve la place qu’il mérite au profit de tous.

En finir avec le clivage libéralisme / socialisme

Le clivage politique central dans les sociétés postindustrielles repose sur l’opposition du travail et du capital. Cette opposition remonte aux débuts de l’ère industrielle, avec la migration des paysans vers les usines qui a transformé le lien au travail. En effet, avec l’apparition de la machine à vapeur et de ses déclinaisons industrielles, il devient nécessaire, avant de fabriquer le premier produit, de construire l’usine, de construire et/ou acheter les machines, de recruter et de former du personnel.

L’entrepreneur escompte amortir le plus vite possible son capital investi pour sortir de l’étape de risque de ruine, puis le faire fructifier pour entrer dans la richesse. Cette ambition se trouve en opposition avec celle de ses salariés, qui souhaitent gagner le plus possible, sans prendre de risques et dans les meilleures conditions de travail possibles.

Le clivage syndicat / patronat dans la sphère économique a trouvé sa déclinaison dans le champ politique sous la forme libéralisme / socialisme. Au-delà des appellations, il s’agit en fait d’une appréhension différente des relations entre lien social et performance : les socialistes, situés à gauche de l’échiquier politique, font primer le lien social sur la performance, tandis que les libéraux, à droite, font primer la performance sur le lien social.

Or, la corrélation étroite entre Lien social et Performances[1] dévoile l’ineptie de ce clivage et donc la caducité des termes actuels du débat public. Les indicateurs statistiques montrent qu’il n’y a pas de performance durable sans qualité du vivre-ensemble ; en miroir, il n’y a pas non plus de cohésion sociale durable au sein d’un groupe social qui ne remporte pas quelques succès collectifs.

Le raisonnement politique ne peut plus être Faut-il générer d’abord du lien social, ou d’abord de la performance ?, mais Comment faire pour générer les deux simultanément ?

Car les niveaux de lien social et de performances dépendent d’un seul et même paramètre : c’est le mode de gouvernance, qui organise la circulation des personnes et des informations afin que chaque fait, chaque idée, chaque expérience, chaque savoir-faire et chaque énergie trouve la place qu’il mérite au profit de tous.

Une nouvelle grille de lecture de la société se fait ainsi jour : il ne s’agit plus de savoir s’il est nécessaire de développer d’abord de la performance pour construire ensuite du lien social, ou s’il est nécessaire de s’assurer d’abord d’une bonne qualité de lien social pour être ensuite capable de générer de la performance collective.

Il s’agit de déterminer si, face au mouvement permanent du monde, nous allons nous replier sur nous-mêmes, avec un mode de gouvernance qui concentre les pouvoirs en quelques mains éclairées ou si nous allons savoir organiser l’ouverture à toutes les personnes, tous les faits, toutes les idées.

L’explication et l’écoute : nécessaires, mais insuffisants

Car, à l’ère post-industrielle dans laquelle nous sommes, à l’âge du multimédia, chacun d'entre nous reçoit chaque jour une quantité phénoménale de messages. Cette diversité de l’information forge autant d’opinions que de personnes : de plus en plus mûrs ou croyant l’être, nos concitoyens, qu’ils soient dirigeants ou « dirigés », veulent s'exprimer et refusent d'adhérer a priori aux décisions, tant dans les sphères publiques et professionnelles, qu’associatives, syndicales et même privées.

Le citoyen, le salarié, l’actionnaire, le client, le fournisseur, l’adhérent, le militant, le bénévole veulent avoir accès à une information objectivée, mais souhaitent aussi s’exprimer. Cette évolution culturelle génère un niveau d’exigence élevé quant aux modalités de communication et d’interaction.

Prendre le temps de l’explication ne suffit donc plus. Livrer un raisonnement, fut-il très éclairant, comporte plusieurs limites : certains peuvent être en désaccord, d’autres ne pas comprendre, d’autres enfin ne pas écouter parce qu’ils ont un préjugé sur l’émetteur ou tout simplement parce qu’ils ont le sentiment de ne pas avoir été eux-mêmes entendus.

Le législateur et l’exécutif, tout comme le chef d’entreprise, doivent tenir compte de cette culture nouvelle et se placer en situation d’écoute de cette multitude d’avis. Tout comme les entreprises les plus performantes ont su développer un nouveau mode managérial plus ouvert au dialogue, il nous faut renforcer la démocraticité[3] de notre processus législatif et construire la loi en se plaçant à proximité et à l’écoute du citoyen. Il s’agit de dialoguer avec lui pour lui donner la parole et non pour lui donner raison. Cela ne conduira pas à aliéner la capacité de décision, mais à la renforcer.

Mais attention, si cette écoute et cette prise en compte de toutes les informations et de toutes les idées sont indispensables, elles ne sont cependant pas suffisantes. Après avoir écouté, le dirigeant est sensé avoir entendu et donc avoir compris : ayant donné la parole aux intérêts particuliers, il prend alors le risque d’avoir à leur donner raison, ou de ne pas être lui-même compris.

Il convient donc d’aller plus loin que l’explication et l’écoute. Il devient nécessaire de faire réfléchir l’ensemble des parties prenantes, à travers un dialogue facilitateur de l’émergence d’innovations porteuses d’intérêt général, mais surtout leur appropriation par le plus grand nombre. Or, transcender les intérêts particuliers et forger une vision commune des contraintes et des projets supposent d’organiser la confrontation objective et constructive des différents avis et propositions des citoyens. L’enjeu est là : définir et mettre en œuvre une méthode de réflexion collective, pour irriguer la société d’une capacité à inventer et à se remettre en question de façon constructive.

Il s’agit de concevoir et d’installer, en plus des processus classiques de décision et de contrôle, un processus de réflexion interactive préalable à la décision. L’objet de ces processus doit être de consulter les « dirigés » (citoyens dans la cité, collaborateurs dans l’entreprise), non pas pour les interroger sur leur satisfaction vis-à-vis des décisions prises, ni pour mesurer leur adhésion à un projet défini sans eux, mais pour leur permettre de contribuer de façon active, en amont des décisions, d’une part à la formulation du diagnostic et des raisons éventuelles de la nécessité du changement, et d’autre part à l’étude comparative des recommandations et arbitrages possibles.

L’objectif est double : permettre aux personnes d’exprimer leurs attentes, leur vision, mais aussi leurs réticences et leurs craintes, et surtout s’assurer que tous, décideurs, experts et dirigés, aient accès à des tribunes d’un nouveau type, à partir desquelles ils puissent présenter leurs analyses, ambitions, actions, pratiques et projets.

La société est donc face à nouveau défi : comment assumer ces nouveaux vecteurs de mutualisation de l’information et en transposer les applications pour développer de meilleurs niveaux de vivre ensemble et de réussir ensemble ?

L’enjeu le plus important pour tous ceux qui souhaitent développer le lien social ou la performance consiste à construire un étage complémentaire dans la gouvernance, qui autorise l’émergence d’un plus grand niveau de respect des personnes, des faits et des idées.

 

[1] Cf  Première partie du « Rapport Etat social de la France en 2010 »

[2] Tous les travaux à caractère professionnel ou associatif menés par l’ODIS et l’ODISSEE depuis 1990 auprès et avec les diverses catégories socioprofessionnelles illustrent cette évolution en profondeur Cf. sites Internet www.intelligencesociale.org / www.odissee.org / www.odis.fr

[3] Voir définition page 121.

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