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Sylvaine AIVAZZADEH et Jérôme MOREAU, Enseignants –chercheurs à la Faculté de droit et science politique de DijonRéflexions pour un renouveau de la citoyenneté

Quelle place pour le citoyen dans la cité ? Question très vaste qui appelle d’abord à s’interroger sur la qualité de citoyen. Les difficultés actuelles, qui justifient aujourd’hui, un forum, conduisent certains de plus en plus nombreux à appeler à la responsabilisation des citoyens et considère l’éducation à la citoyenneté comme un remède commun et commode à une perte de repères et de valeurs. Or, une conception confuse de la notion ne peut permettre d’atteindre l’objectif visé. L’intégration républicaine classique fondée sur le déni des différences culturelles a vécu. Voulant intégrer, la France a en réalité cherché à assimiler.

La notion de citoyen, sous la cinquième République, doit s’envisager sous une acception certes juridique mais aussi selon des critères multiples et variés tels que les critères sociologiques, politiques, philosophiques ou autres.
Au sens sociologique, il est communément admis que la citoyenneté présente une dimension culturelle qui serait la manifestation d’une identité commune. La citoyenneté est considérée comme un signe d’appartenance ayant pour socle une culture commune et une histoire commune. Une telle acception est en elle-même discriminante et excluante.
Au sens politique, est citoyen celui qui possède la nationalité française et qui jouit de ses droits civils et politiques. En ce sens, la citoyenneté confère à l’humain un droit essentiel à son devenir : le droit de vote et d’éligibilité aux scrutins politiques. Là encore, une telle acception est en elle-même discriminante et excluante.
Historiquement, si l’on remonte au XVIIIe siècle, DIDEROT notait en 1753, que le citoyen est le membre d’une société. En 1771, le dictionnaire de TREVOUX estime que le citoyen est celui qui a un rapport particulier avec la société politique. Dans le vocabulaire courant, le terme citoyen est habituellement utilisé pour désigner une personne en considération d’un ancrage politico-géographique et à laquelle sont attribués des droits et des devoirs. Si les critères de vote et d’éligibilité, de participation active dans la vie de la cité sont autant d’éléments permettant de définir effectivement le citoyen, il n’en demeure pas moins que ces critères ont été bouleversés ces dernières années par la montée en puissance et la prégnance toujours plus forte du droit communautaire.

La souveraineté nationale est aujourd’hui attaquée par deux phénomènes importants mais qui vont en réalité diluer et limiter un concept qui a fait jusqu’à présent la force et la puissance des Etats.
La souveraineté nationale est tout d’abord concurrencée par la décentralisation. Ces entités territoriales autonomes peuvent prendre librement des décisions, sous le contrôle du représentant de l’Etat, et les individus, vivant et peuplant ces territoires, sont des citoyens élisant des assemblées au suffrage universel direct. Les citoyens de ces nouvelles entités créées sont le fruit d’une réforme voulue par le législateur afin de rapprocher les habitants de la décision politique. La constitution de 1958 opère donc des novations importantes et avalise l’idée d’une République décentralisée. Les lois du 2 mars 1982, complétées par les dernières avancées gouvernementales en la matière, posent le principe d’une autonomie des collectivités locales et attribuent des pouvoirs considérables aux exécutifs locaux. L’élection des assemblées territoriales se déroulent dans le cadre d’un suffrage universel direct. Désormais, les citoyens élisent non seulement des représentants nationaux mais encore désignent leur édiles à des postes clefs de la République.
Par ailleurs, la souveraineté nationale est aussi concurrencée par la construction de l’Europe communautaire qui impose des règles aux Etats Membres sans qu’ils puissent s’opposer à ses prescriptions. Le cadre européen a désormais établi de nouveaux citoyens dotés de droits dont la nouvelle et future constitution européenne et la charte européenne des droits fondamentaux en reprennent par ailleurs les fondements. Cette Europe, dont le cadre est en évolution constante, dispose de règles autonomes et de sa propre codification. Si le cadre institutionnel, voulu par les constituants de 1958, reste encore parfaitement identifiable, les avancées de la construction européenne obligent à repenser le cadre traditionnel de la citoyenneté initialement imaginée.

Ces deux phénomènes, locaux et internationaux, trouvent leur fondement à des échelons radicalement différents et dont le niveau de décisions est en apparence sans aucune mesure. Pour autant, ces deux échelles vont en réalité converger et l’Europe va influer directement sur l’échelon municipal en imposant que des citoyens, ressortissants de l’union européenne, puissent voter aux élections européennes et municipales. Le droit communautaire impose une nouvelle donne électorale aux Etats Membres et de nouvelles règles relativement au droit de suffrage et d’éligibilité. La réforme est issue du traité de Maastricht dont chacun connaît le partage des français quant à son adoption. Le traité pose le principe selon lequel est citoyen de l’Europe, toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre. Cela implique en définitive que l’on serait en présence sur un territoire national de deux critères de la citoyenneté à savoir celui possédant la nationalité de l’Etat national, pouvant participer à l’ensemble des élections de l’Etat et le citoyen de la communauté européenne, non national de l’Etat dans lequel il vit mais pouvant participer à la vie politique européenne et municipale. Ainsi est posée la question des droits ouverts par cette nouvelle nationalité créée avec le traité de Maastricht. Au niveau municipal, les citoyens de l’Europe communautaire, non nationaux, peuvent donc se présenter sur des listes candidates aux municipalités sous réserve que ces derniers ne puissent accéder aux fonctions de maires et d’adjoints. Ils ne peuvent pas, par ailleurs, participer aux élections sénatoriales, une fois élus dans les instances municipales. En effet, l’élection des sénateurs reste encore un acte de souveraineté nationale auquel seuls les nationaux français ont accès. Toutefois, l’Europe de Maastricht a prévu et rendu effective une avancée considérable des droits relativement aux élections comme si la citoyenneté ne se définissait en réalité que par rapport au droit de vote et d’éligibilité par le truchement d’une nationalité qu’il fallait bien évidemment définir. Notons que pour aboutir à ce système profondément justifié et juste, il a fallu pas moins de trois décisions du Conseil Constitutionnel et une réforme du texte fondamental de notre pays. Le citoyen serait-il en réalité celui qui vit dans la cité. Cette question de droit de vote et d’éligibilité des citoyens communautaires est basée sur le fait que des ressortissants de l’Europe doivent pouvoir choisir leurs représentants, quelque soit le territoire où ils se trouvent. Cette création juridique et empirique implique des conséquences extrêmement importantes sur la notion même de citoyenneté.

Si cette nouvelle citoyenneté reconnaît largement les droits politiques effectifs au sein de l’union européenne, il est frappant de constater que cette attribution a anticipé la rédaction d’une constitution européenne et d’une charte des droits fondamentaux des citoyens de l’Union. En effet, l’Europe des peuples s’est construite bien avant l’Europe politique, comme le note Elisabeth GUIGOU dans son livre “ Je vous parle d’Europe ”. Les avancées en la matière sont véritablement intéressantes pour notre sujet car non seulement il définit cette fois juridiquement la notion de citoyen mais encore il attribut des droits effectifs à ces citoyens. C’est au niveau européen et au niveau municipal que ces droits sont les plus marquants et les avancées sont significatives, échelons dont nous avons dit précédemment qu’ils venaient de battre en brêche la notion de souveraineté nationale pourtant si forte il y a encore cinquante ans.

L’ouverture ainsi construite par la voie de la contrainte communautaire ouvre de larges perspectives pour ces citoyens. Ils participent politiquement et activement à la vie de la cité municipale, ils votent les futures délibérations du Conseil municipal, orientent la politique de la ville et choisissent des priorités. Mais, ces nouveaux droits constituent une reconnaissance de leur contribution à la construction de la cité. Par le biais de l’impôt, par le biais de leur travail, par le biais de leur engagement dans le secteur associatif, par le biais de leur engagement dans un parti politique, par le biais de leurs investissements plus ou moins démonstratifs, ils ont ouvré pour cette cité municipale. Cette reconnaissance de la qualité de citoyen leur permet de jouir pleinement de leurs droits civiques et leur permet désormais de décider alors qu’ils étaient contraints de subir et d’accepter auparavant. Cette nouvelle citoyenneté est donc le fruit d’un profond réalisme et pragmatisme de la part des rédacteurs du traité de Maastricht. En effet, il a été compris que le centre de décision résidait sur la plus petite circonscription territoriale de la République et qu’il convenait d’octroyer des droits à un maximum de citoyens pour que la démocratie ne soit pas l’apanage exclusif des nationaux. La commune est également un territoire particulièrement bien adapté à cette qualité de citoyens communautaires car c’est une entitè où ils peuvent véritablement agir, gouverner et s’identifier. C’est également le territoire, outre leur pays d’origine, qu’ils connaissent le mieux. C’est donc ce nouveau rôle dans la cité qui leur a été attribué en leur conférant la qualité de citoyen, qualité supposant non seulement en définitive des droits mais également des devoirs. L’Europe a voulu envoyer un signe déterminant aux Etats membres à savoir que la citoyenneté ne se décrète pas par des textes ou des principes surannés mais qu’elle se vit pleinement, jour après jour, en participant à la vie d’une cité dans laquelle on habite.

Il est par ailleurs intéressant de noter que les individus, ressortissants du conseil de l’Europe, qui comprend actuellement plus de quarante membres, sont pourvus d’une charte des droits fondamentaux intéressant les principes démocratiques et les libertés électorales. Ces droits fondamentaux sont protégés par une Cour de Justice qui imposent aux Etats le respect de ce texte. Ces ressortissants du Conseil de l’Europe seraient-ils de nouveaux citoyens à qui les attributs démocratiques seront prochainement accordés ?

Le droit français a certes concrétisé des avancées démocratiques mais a également établi une pluralité de situations sur son territoire relativement aux statuts des personnes complexant ainsi une matière qui semblait déjà ardue. En effet, sur son territoire, coexistent des nationaux, des ressortissants communautaires, des étrangers en situation régulière et des étrangers en situation irrégulières. A chaque catégorie, correspond en réalité, une série de droits plus ou moins étendue. Cette diversité des situations posent de nombreux problèmes au regard de situations qui sont en réalité profondément similaires si bien que force est de poser la question du droit de vote et d’éligibilité des étrangers en situation régulière. Le Conseil Constitutionnel avait déclaré comme contraire à la Constitution le traité de Maastricht en raison du fait que les ressortissants communautaires mais non nationaux pourraient participer à un acte de souveraineté en se retrouvant électeurs des sénateurs. En faisant un lecture a contrario des décisions du Conseil Constitutionnel sur le traité de Maastricht, pourrait-on octroyer le droit de vote et d’éligibilité de citoyens non communautaires mais habitant sur le territoire d’une commune et en situation régulière à partir du moment où plus aucun acte de souveraineté ne découlerait de cette situation ?

La seconde question qui reste entière est celle du principe d’égalité, principe structurant une partie du droit français et dont la valeur constitutionnelle n’est plus à démontrer. En effet, quelle est la différence entre les citoyens de l’Union Européenne et les ressortissants des membres du Conseil de l’Europe ? Le droit de vote et d’éligibilité des étrangers aux élections locales serait certainement un vecteur d’intégration qui fait cruellement défaut aujourd’hui. La faillite du processus d’intégration est aujourd’hui très claire et il convient de trouver les remèdes à ce mal dont chacun a apparemment conscience mais dont les propositions de solution sont inappropriées à cet enjeu majeur pour le développement harmonieux de la cité. La citoyenneté, actuellement, est une notion qui exclut plutôt qu’elle ne rassemble comme communément admis. En effet, outre les personnes majeures sous tutelle ou déchues de leurs droits civils et politiques ainsi que les mineurs, les étrangers hors Union Européenne, ne sont pas des citoyens. En définitive, la France de la cinquième République n’est pas plus vertueuse que la Grèce Antique.

Ce droit de vote accordé aux étrangers serait également une manière de poser un principe cardinal à savoir celui selon lequel les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit et que l’individu ne se définit pas par rapport à son sang et son origine mais bien par rapport à son expérience, son engagement dans la cité et sa dignité humaine. Le vocable citoyen a d’ailleurs une fonction égalisatrice en gommant les disparités humaines autour d’une même qualité juridique. Les arguments qui ont motivé le droit de vote des européens, ressortissants d’un pays membre de l’Union Européenne, pourraient parfaitement être appliqués à tous les étrangers habitant sur le territoire de la commune. Opérer une nouvelle conception de la citoyenneté locale est sans aucun doute un enjeu futur des prochaines années. En effet, ces étrangers en situation régulière, sont titulaires de droits mais ne peuvent en décider car ils sont exclus du processus décisionnel faute pour eux de pouvoir voter. L’étranger, ainsi, ne peut influer par son vote sur la politique locale qui se rapporte pourtant à des volets essentiels de sa vie quotidienne tels que les transports, les équipements culturels et sportifs, le logement social, les aménagements urbains ou bien encore les finances publiques locales alors qu’il est contribuable local pouvant déférer devant le juge administratif une décision de sa commune pour en contester la légalité. L’engagement des non titulaires du droit de vote dans la cité communale dans des structures associatives constitue un succédané de la citoyenneté et ne peut s’y substituer et être considéré comme suffisant. Partant de ces constatations démontrant l’égalité régnant entre les divers habitants d’une même commune, il conviendrait donc d’attribuer au même titre que les ressortissants de l’Union Européenne, le droit de vote et d’éligibilité à l’ensemble des résidants de cette entité. Cette nouvelle citoyenneté reconnue pourrait servir de fondement à l’arrêt de la montée des communautarismes, elle pourrait également contribuer à faire des populations étrangères, qui respectent et ouvrent pour la cité communale, des acteurs pleinement investis de missions et de responsabilités. Elle permettrait enfin de donner un sens véritable au mot de citoyen, balayant les archaïsmes éculés qui ne sont plus idoines à nos pays occidentaux développés en contribuant du même coup à donner un relief à une conception, qui actuellement sonne aussi creux qu’une coquille vide, à savoir le mot qui désigne le citoyen du monde : COSMOPOLITE.

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