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Patrick Shan, Ethnomédecin, HumanitradCorps social et corps humain, même combat

Vivre, c'est co-exister

De par ma formation d’ethnomédecin, ma conception de la société et de l’entreprise est calquée sur ma vision de l’être humain lui-même. En effet, lorsqu’on les compare, on s’aperçoit que le corps humain et le corps social ont naturellement tendance à se structurer et à fonctionner sur un modèle identique. La médecine traditionnelle chinoise, une science vieille de 3000 ans, considère le corps humain comme un pays (Cf publication : « la pensée écologique dans la tradition chinoise »), dont les organes représentent le gouvernement. Le C½ur est l’Empereur, le Foie le Premier Ministre, etc. L’ensemble est structuré de manière à assurer le bon fonctionnement général : défense, transformation, nutrition, reproduction, circulation, élimination, communication etc.

 

On retrouve cette même analogie concernant le diagnostic et le traitement. Une prescription de pharmacopée chinoise, par exemple, est conçue à la manière d'une équipe gouvernementale chargée de gérer un pays. Elle se compose généralement d'une plante dite "empereur", qui représente le produit le mieux adapté au principe de traitement recherché. On y adjoint un ou plusieurs "ministres", qui agissent en synergie avec l'empereur pour renforcer et élargir son action. On y ajoute encore des "conseillers", ou secrétaires d'état, chargés de tempérer les effets secondaires possibles des plantes principales, et de traiter des aspects annexes de la maladie non pris en compte par l'empereur et les ministres. On y trouve enfin des "diplomates" ou "ambassadeurs", chargés d'harmoniser l'équipe gouvernementale en équilibrant ou cloisonnant l'action des différentes plantes, et de diriger l'action de l'ensemble de la formule vers tel ou tel organe ou zone du corps. Une prescription classique de médecine chinoise est ainsi conçue de manière subtile, qui permet de prendre en compte non seulement le traitement d'une affection, mais également le ciblage de ce traitement (pour ne pas affecter un organe qui n'en a pas besoin), ainsi que le contrôle de ses effets secondaires possibles (pour ne pas rendre le patient malade à cause du traitement donné). Ajoutons à cela le fait que les prescriptions ont la capacité de suivre l'évolution du patient par modifications successives de leur composition des ingrédients (dans un gouvernement, on nomme cela un remaniement ministériel). Cette capacité d’adaptation des traitements aux patients plutôt que l’inverse est précieuse, car la vie est un processus évolutif.

 

Imaginons à présent que l’on transpose à la politique ou à la direction d’entreprise cette finesse dans le traitement des problèmes. On pourra alors dire, comme Confucius, que « le mauvais médecin soigne la maladie. Le bon médecin soigne le malade. Le grand médecin soigne la société des hommes ». Ma vision des entreprises humaines, en tant qu’ethnomédecin, est influencée par autre chose : l’omniprésence de la mort au sein même de la vie. Nous oublions trop vite que nous ne sommes que des passagers sur cette planète, pour quelques décennies tout au plus, et que nous n’emporterons rien avec nous, si ce n’est la satisfaction d’avoir fait quelque chose de bien de notre vivant. Ce que nous créons ici-bas, vastes empires ou petites entreprises, ce ne sont jamais que des mandalas, des châteaux de sable. Nous croyons que la vie nous appartient, alors que c’est nous qui lui appartenons. À chaque seconde, nous devons notre survie aux rythmes conjugués du ciel et de la terre, qui battent en nous au travers de notre souffle et de nos pulsations sanguines. Nous sommes des êtres éminemment fragiles, suspendus à la vie comme un enfant est suspendu au sein de sa mère. Il découle de cela une autre idée, reprise par Rousseau : on ne peut commander à la Nature qu’en lui obéissant. Vivre, c’est co-exister. Organiser la société humaine sans le respect absolu dû à l’air, à l’eau, à la terre et à toutes les autres formes de vie, c’est naturellement courir à sa propre disparition. Une société humaine non écologique se condamne d’elle-même tôt ou tard au suicide. Voyez où nous en sommes : le diagnostic est préoccupant.

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