Faut-il et comment construire une société à la fois plus juste et plus performante ?Synthèse du Forum Citoyen de Rambouillet du 15 octobre 2003
La perte de repères collectifs et de la notion même de collectif entraîne une individualisation croissante qui constitue un frein à la réforme de la société, chacun veut sauvegarder ses intérêts sans se soucier de l’intérêt général, au développement de plus de justice et de plus de performance collective.
La principale clé pour construire une société plus juste et plus performante est donc de ré-affirmer et faire partager des valeurs collectives, de développer la responsabilité collective, c’est-à-dire la conscience que chacun est responsable de l’ensemble de la société, en organisant la participation des individus à la réflexion en amont des décisions. Ce n’est qu’à travers ce renouveau de la citoyenneté, déjà à l’½uvre à travers les associations, les sapeurs-pompiers volontaires, la multiplication d’actions citoyennes locales, que l’on pourra faire évoluer la société vers plus de dialogue, de solidarité, de respect mutuel et d’innovation.
Une société en mutation
Plusieurs participants ont souligné les mutations culturelles intervenues dans notre société depuis notamment les années soixante et l’influence de ces mutations sur notre façon de concevoir aujourd’hui la société et notre lien au collectif.
Perte de la notion du collectif
La France est en effet passée d’une société empreinte de l’importance de la collectivité à une société valorisant de plus en plus l’ego, l’hédonisme et les libertés individuelles au point que le collectif n’est parfois aujourd’hui perçu que comme une contrainte et un frein aux libertés individuelles.
Notre société semble ainsi aujourd’hui avoir perdu la notion du collectif, chacun attendant que ce soit l’autre qui change, qui fasse le premier pas, a souligné un Président d’association. Cet individualisme croissant conduit à une situation d’immobilisme : personne n’accepte la réforme si celle-ci empiète sur des avantages acquis, chacun exigeant que l’on modifie plutôt les modes de fonctionnement des autres plutôt que les siens. Concernant la réforme de la retraite, on en arrive ainsi à une situation dans laquelle le secteur privé demande qu’on réforme d’abord le secteur public et inversement, les employeurs demandent que ce soient les salariés qui cotisent plus et les salariés que ce soient plutôt les cotisations des employeurs qui augmentent, etc.
Les processus participatifs, clé de la responsabilité collective
Cependant, comme l’a rappelé une participante, chacun d’entre nous porte en lui une envie de participer et un besoin de reconnaissance par le collectif : quelle que soit la sphère, publique ou privée, il faut s’efforcer de faire comprendre à chacun qu’il est écouté et entendu, et que son avis importe dans la prise de décision. Il faut enrayer le cercle vicieux du « je ne suis pas consulté donc je ne suis pas concerné donc je ne m’implique pas dans la décision prise donc j’entre dans une relation de non respect du droit de la décision prise», et ce en organisant la réflexion avec toutes les parties concernées préalablement à la décision pour susciter l’adhésion du plus grand nombre.
Cette logique participative vise à re-développer le sens de la responsabilité collective, à modifier la relation humaine qui est aujourd’hui trop souvent réglée sur le mode agressif, sur le rapport de force. L’écoute mutuelle peut être alors une voie pour construire une culture du respect de l’autre.
Vers une nouvelle définition de la justice
Le Sénateur-Maire Gérard Larcher a indiqué qu’une société plus juste est une société où le droit s’exerce avec pour objectif la protection du plus faible. Cependant, la multiplication et la complexification des textes du droit (lois et textes réglementaires) génèrent une défiance des citoyens vis-à-vis de la justice et un sentiment que cette notion de la justice – la défense des plus faibles – a été corrompue. Il découle de évolution de la perception de la justice une certaine peur de l’autre et une perte des valeurs collectives.
Une société sans repères
En contradiction avec le discours issu de mai 1968 qui voulait plus de liberté et moins de contraintes, de repères, un ancien directeur des Ressources Humaines a rappelé que cette liberté ne peut s’exercer que dans un cadre précisément défini. Or nous nous trouvons aujourd’hui dans une société sans repères. Les repères religieux se sont affaiblis et aucune instance n’a pris leur place : ni la politique vis-à-vis de laquelle se défient de plus en plus les français, ni l’éducation civique, qui n’existe quasiment plus dans les écoles, comme l’a noté un représentant du MEDEF.
Le président de la Fédération Nationale des Sapeurs-Pompiers de France a fait remarquer que notre société en général, et les médias en particulier, oublient trop souvent de montrer les choses qui vont bien, de mettre en avant ceux qui s’engagent pour les autres tels que les associations, les sapeurs pompiers volontaires et toutes les autres catégories de bénévoles. En ne valorisant pas ce qui fonctionne bien et ceux qui véhiculent des valeurs positives de civisme, d’engagement et de solidarité et en médiatisant les incivismes et les affaires politiques frauduleuses, on néglige la valeur d’exemple et on ne tend pas à donner aux individus et notamment aux enfants des repères positifs, constructifs.
Pour certains participants, l’un des révélateurs de cette perte de repères communs est l’utilisation du tutoiement / vouvoiement dans les relations quotidiennes. En effet, un ancien fonctionnaire précise que pour que notre société soit plus juste, nous devrions commencer par donner à chacun le repère du vouvoiement. Ce dernier est une marque de respect mutuel entre les personnes. Il regrette qu’aujourd’hui tout le monde utilise le « tu » à tout va, et particulièrement dans les échanges avec les jeunes. A ceci, les étudiants présents dans la salle ont répondu qu’ils préfèrent le tutoiement, plus convivial et plus familial. Cet exemple au delà de l’opposition qu’il présente marque le décalage de référentiel et le manque de repères communs.
Tous les participants se sont accordés pour dire que l’une des premières étapes à la construction d’une société plus juste et plus performante est la définition de valeurs de référence pour chaque citoyen, comme par exemple l’engagement et l’action « civique » comme celle par exemple des sapeurs pompiers volontaires.
L’enjeu collectif est donc de ré-exprimer des repères collectifs et citoyens en s’appuyant sur les acteurs économiques, sociaux, éducatifs.
Plus de justice, plus de performance : l'enjeu des acteurs économiques
Le secteur public
Un ancien fonctionnaire a souligné que les dirigeants ainsi que les agents de services publics ne sont souvent plus conscients de la mission de service public qu’ils portent. Etant en contact en permanence avec la population, ils se doivent pourtant de faire passer un message citoyen et de faire attention à la relation qu’ils créent avec les usagers en leur montrant qu’ils sont à leur service, qu’ils sont là pour le bien du collectif. Cet intervenant a ainsi proposé d’inclure dans le processus de recrutement des agents de la fonction publique des notions de dialogue, de communication et de respect. Cette idée a été enrichie par celle d’une élue associative qui est d’intégrer un volet relationnel et comportemental dans toutes les formations aussi bien dans l’administration que dans les écoles ou les universités.
Le secteur privé
L’entreprise peut aussi travailler à la construction d’une société plus juste et plus performante, et ceci pas simplement sur la dimension de la performance économique. Selon un chef d’entreprise présent, les entreprises doivent aussi donner des repères, des valeurs humanistes à leur salariés, notamment en montrant l’exemple et en s’assurant que l’ensemble de l’encadrement montre également l’exemple. Cette une attitude citoyenne de la part de l’entreprise ne relève pas pour autant d’un altruisme « béat », car si ces repères peuvent permettre de modifier l’attitude des salariés au sein de la société, ils peuvent aussi changer leurs comportements dans l’entreprise et générer de la responsabilité et de la performance.
Un président d’association a tenu a rappeler qu’à ce titre les lois Auroux, en instituant un dialogue entre la direction et les salariés sur tous les thèmes liés à l’entreprise (organisation, conditions de travail, …) constituaient un outil de développement de la justice et de la performance au sein des entreprises. En effet, la notion de justice ne peut être définie que collectivement et donc à travers le dialogue. Par ailleurs, la performance d’une entreprise dépend en grande partie de la performance individuelle de chaque salarié. Or, un salarié sera d’autant plus performant qu’il se sentira écouté et qu’il aura pris part à la réflexion sur le fonctionnement de l’entreprise. Il sera d’autant plus performant qu’il se sentira traité de façon juste. Il existe donc ainsi, selon cet intervenant, des liens indirects mais inextricables entre le dialogue, la justice et la performance.
Un chef d’entreprise a fait remarquer que pour être performant il faut savoir prendre des risques et innover. Or, les français, selon lui, manquent souvent de courage et n’osent pas s’engager dans des voies ou des fonctionnements nouveaux. Il faudrait donc pour aller vers une société plus performante que les français ré-apprennent à dialoguer en interne dans les entreprises, à réfléchir pour chercher des idées nouvelles, à accepter les risques et à reconquérir leur capacité à inventer.
Abondant dans ce sens, un responsable de ressources humaines a rappelé que pour construire une relation durable, quelle que soit le domaine d’activité, il faut être honnête, engagé et respectueux de toutes les parties prenantes. Dans l’entreprise, cette culture peut se répandre par la mise en place de temps privilégiés d’écoute et d’échange (réunions) dans lesquels chacun puisse prendre en compte les arguments et le point de vue des autres et reconnaisse les efforts des autres pour avancer vers une décision gagnant-gagnant.
La citoyenneté, une clé pour une société plus juste et plus performante
Pour l’ensemble des participants, les notions de citoyenneté et de civisme sont des vecteurs clés pour construire une société plus juste et plus performante.
Cet esprit citoyen, fondement de repères nouveaux, doit être développé à travers différents lieux et acteurs, au premier rang desquels la famille, puis l’école, les médias, les associations et les instances de proximité.
Pour l’une des intervenante, la famille est l’acteur de référence dans l’apprentissage de la citoyenneté. L’éducation parentale joue un rôle prépondérant dans le comportement des enfants à l’extérieur. Les enfants s’imprègnent tout d’abord de ce qui se passe dans leur cellule familiale.
Cependant, comme l’a souligné un conseiller municipal, toutes les familles n’ont pas la capacité de diffuser des repères, par manque de temps, de culture ou de pédagogie. Dans ce cas le système éducatif doit pouvoir prendre le relais le plus vite possible. La formation et le comportement des enseignants du secteur privé en terme d’accueil, de valeurs morales et de discipline peut expliquer en partie, selon lui, le départ des élèves du secteur public vers le secteur privé : de plus en plus de parents cherchent des structures qui peuvent prendre le relais et/ou compléter leur éducation en matière de formation civique.
En effet, l’école peut et sans doute doit être aussi un lieu d’éducation à la citoyenneté. Souvent décriée et accusée, elle constitue le lieu où les jeunes restent de plus en plus longtemps. Ce temps doit donc, selon plusieurs intervenants, être un moment de partage, d’échange et d’apprentissage des valeurs collectives.
Plusieurs personnes ont témoigné de leur expérience au sein d’écoles pour aller dans ce sens et sensibiliser les jeunes enfants au civisme. Un représentant du Rotary Club a expliqué que les membres du club interviennent dans les écoles et proposent aux enfants un jeu des erreurs dans lequel ils doivent retrouver les comportements d’incivisme. Un colonel a raconté qu’il s’est déplacé dans les écoles pour présenter aux jeunes ce qu’est l’éducation civique au quotidien, et les a, par exemple, accompagnés pour visiter l’Arc de Triomphe, et leur expliquer ce que recouvrait ce symbole.
Toutefois l’école ne peut pas tout faire, et un représentant de la Croix Rouge a souligné qu’il ne faut pas « tout mettre sur le dos de l’Education Nationale ». Les médias ont eux aussi une grande part de responsabilité. Ils diffusent en effet des informations violentes qui ne véhiculent pas toujours des messages de civisme alors qu’ils pourraient être utilisés dans la diffusion de valeurs plus citoyennes et de comportements plus respectueux des autres.
Au delà de l’école et des médias, les associations apparaissent comme des lieux privilégiés pour le développement du dialogue et du travail de groupe, l’apprentissage et la diffusion de comportements citoyens. Une élue associative a ainsi rappelé que les associations attirent de plus en plus les jeunes, les nouvelles générations, celles dites « sans repères », et elles représentent donc un moyen pour leur transmettre des valeurs de civisme et de citoyenneté.
L’ensemble des participants est tombé d’accord sur le fait que les associations, et les instances de proximité, comme les conseils de quartiers, sont des structures qui permettent d’avancer vers plus de citoyenneté en prenant les gens là où ils sont.
Au-delà de l’action de chacune de ces structures, l’un des participants a exprimé son regret que la disparition du service militaire ne se soit pas accompagnée de la mise en place d’un service civil obligatoire pour tous les jeunes, qui leur apprendrait à donner une période leur vie à la société qui leur a donné et qui leur donnera encore beaucoup.
Le président de la Fédération Nationale des Sapeurs-Pompiers de France a rappelé que les citoyens qui s’engagent pour les autres existent et sont nombreux. Les 200 000 sapeurs-pompiers volontaires et les 30 000 jeunes sapeurs-pompiers de moins de 18 ans qui s’investissent sur leur temps libre pour porter secours aux autres en sont un témoignage. Il faut donc travailler à montrer l’exemple, à montrer que c’est l’engagement de chacun qui permet de construire une société plus juste et surtout à reconnaître l’apport de chacun pour la société et à donner de la fierté à ceux qui s’engagent pour les autres. Il a enfin rappelé que pour que chaque citoyen assume ses devoirs, l’Etat se doit d’assumer également les siens. Or, l’Etat, selon lui, à force de vouloir tout faire et tout prendre à sa charge tend à s’éloigner de sa mission première : garantir la liberté, l’égalité et la fraternité. L’une des clés pour construire une société plus juste et plus performante serait peut-être, a-t-il rajouté que l’Etat se recentre sur ces grands principes fondateurs.
La conclusion du Maire
En conclusion des débats, le sénateur-maire Gérard Larcher a fait le constat que la société urbaine n’a pas réussi à créer un schéma de valeurs comme celui développé par la société rurale. Il faut donc réaffirmer des valeurs claires et partagées et faire en sorte que chacun reprenne sa juste place dans la société. Que les services publics, par exemple assument pleinement leur rôle afin d’éviter que les pompiers ne se retrouvent à assumer des missions qui ne sont pas les leurs, comme c’est le cas aujourd’hui.
Il a enfin indiqué que la commune peut être un moyen de développer la citoyenneté, car la proximité permet de trouver des solutions concrètes, efficaces, performantes et justes et d’expérimenter des solutions nouvelles, même si celles-ci se trouvent parfois en dehors du cadre légal.