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Le Président Hollande à la rencontre de la FranceLes raisons de son élection. Les facteurs d'échec du quinquennat.

Pourquoi François Hollande l’emporte-t-il en mai 2012 ? Que va-t-il accomplir en cinq ans ? Est-il mieux synchrone avec la société que ne l’était en 2007 Ségolène Royal avec L’ordre juste, et Nicolas Sarkozy avec Travailler plus pour gagner plus ? Sa proposition de plus d’Egalité correspond-elle mieux à l’air du temps ? L’homme de mai 2012 sera-t-il aussi celui de mai 2017 ? Quelle sera sa place dans l’histoire, en France, en Europe et dans le monde ?

Sortez les sortants !

L’équipe sortante, actuellement menée par Nicolas Sarkozy, est au pouvoir depuis mai 2002. Dix années passées au pouvoir révèlent les inévitables insuffisances des équipes, fussent-elles les plus capables : le chômage augmente, les finances publiques s’enfoncent, la nature se détériore, l’immigration illégale continue, la paupérisation s’accroît…. Or, lorsque l’on veut rester aux commandes, la défense de son bilan est un prérequis à la défense de son projet : donner des perspectives d’avenir suppose de mettre en perspective le passé. De plus, pour être lisible, celle-ci doit être la même. Lorsque l’on prétend à la continuité, l’exercice se dessine donc en trois dimensions : inventer l’avenir, mais aussi défendre le passé, le tout à travers une même grille de lecture.

Inversement, l’équipe alternative en 2012 a quitté le pouvoir depuis dix ans. Le temps de se refaire une virginité. Sans passé, pas de passif. De plus, lorsque l’on est dégagé de la gestion quotidienne des affaires, et donc non astreint à l’action et la réaction immédiates, davantage de temps et d’énergie sont alors libérés pour l’activité intellectuelle. Bien sûr pour l’élaboration d’idées, mais aussi pour pointer les immanquables failles des dirigeants en place. Si l’on doit là aussi mûrir l’avenir, attaquer le passé peut parfois suffire, ce qui présente moins de difficultés. Aussi, dans tout débat, à compétences égales, le prétendant peut toujours n’être qu’observateur des lacunes, sans même avoir à être penseur de l’avenir, et se trouve donc en situation favorable face à l’acteur enrôlé dans le passé dont il est donc comptable.

En 2007, Sarkozy marquait son opposition au leader de l’équipe sortante : bien qu’en faisant partie, il était parvenu à en dissocier son image. Mais devenu chef d’équipe, il n’a plus cette possibilité en 2012. Premier avantage à Hollande.

Le système politique français oblige à maîtriser son parti

La deuxième prévalence pour François Hollande est propre au système politique français actuel. Aux Etats-Unis, le rôle des Présidents de partis, Démocrate et Républicain, consiste à organiser les primaires, sans avoir la possibilité de se présenter. Ce positionnement neutre du Président permet l’objectivité des primaires, le fait que les organes et moyens du parti ne serviront pas à favoriser un candidat en particulier et garantit ainsi l’égalité des chances entre toutes les candidatures.

En France, depuis la naissance de la cinquième République, les chefs d’Etat successifs ont tous non seulement dirigé, mais aussi créé leur propre parti, organe personnel de conquête du pouvoir. Tous, sauf Nicolas Sarkozy qui doit à un concours de circonstances l’obtention de l’investiture pour l’élection présidentielle par l’UMP créé par Alain Juppé en 2002. Jamais le parti n’aurait mis à sa tête puis soutenu Nicolas Sarkozy sans l’inéligibilité d’Alain Juppé, prononcée en 2004. Aussi, le Président de parti par défaut qu’il est en 2007 ne maîtrise pas totalement l’appareil qu’un autre a installé avec ses propres réseaux.

Cependant, Nicolas Sarkozy a alors face à lui une candidate encore moins bien assise que lui sur le parti qui la soutient : Ségolène Royal n’est pas soutenue par la personne qui dirige et contrôle le parti depuis dix ans (François Hollande, qui visait déjà 2012). De plus, les partisans de Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn et François Hollande croient alors en leur destin pour l’échéance suivante. Au regard de la capacité des deux finalistes à mobiliser leur propre camp en 2007, l’avantage était alors à Nicolas Sarkozy.

Si l’équation de Nicolas Sarkozy n’est guère plus favorable en 2012, celle de François Hollande l’est beaucoup plus. En effet, au PS, DSK est définitivement hors-jeu pour des raisons extrapolitiques ; parmi les candidats déclarés, seule Martine Aubry visait vraiment l’élection présidentielle de 2012, les autres se positionnant pour 2017, sans véritables capacités de nuisance, à l’inverse de DSK et Fabius dotés d’importants tissus relationnels internes lors des échéances précédentes. Or, François Hollande a été Premier secrétaire pendant près de douze ans (1997-2008) : c’est lui qui maîtrise l’appareil pour en avoir constitué et animé les réseaux. Martine Aubry n’a été Premier secrétaire que pendant quatre ans, donc sans suffisamment de leviers pour bâtir une communion d’intérêts de carrière avec un tissu des barons locaux. Coincé entre les deux anciens Premiers secrétaires, la seule manœuvre de Laurent Fabius pour accéder au gouvernement consistait à se rallier sans conditions à celui qui avait le plus de chances de l’emporter. Vaincue, Martine Aubry qui aura 67 ans en 2017 doit faire allégeance si elle veut conserver une chance d’être à nouveau ministre.

A gauche, François Hollande tient toutes les composantes du PS, tandis qu’à droite, Nicolas Sarkozy n’a pas complétement réussi à imposer son autorité aux différents courants de l’UMP. D’où son incapacité à remplacer François Fillon poste de premier ministre, pour éviter qu’il ne devienne instantanément une alternative à sa propre candidature à droite.

La sacralité du chef dans l’èthos français

Peu protégés par leur propre camp, et donc sans grande convergence de carrières ni de vues avec leurs plus proches soutiens, les deux protagonistes de 2007 étaient contraints de démontrer à chaque fraction de l’électorat qu’ils détenaient les meilleures solutions. L’occupation du terrain supposait pour eux la recherche de solutions concrètes, sujet par sujet. Cet assujettissement aux contingences du quotidien les a fait descendre dans l’ordinaire : vouloir résoudre les problèmes des gens en étant garant à titre personnel de l’Etat providence qui donne à chacun emploi, logement, subventions...

Or, cela ne correspond pas à la spécificité historique française du dirigeant glorifié dont on regarde plus le panache que les résultats concrets, de Louis IX, dont la canonisation fait oublier les défaites terribles lors de croisades douteuses, à Bonaparte dont la geste militaire efface sa réduction du territoire et son dévoiement des valeurs républicaines. En France, depuis Pépin le Bref, le chef de l’Etat est sacré. Depuis 754, le détenteur du pouvoir temporel occupe également le siège du pouvoir spirituel. La constitution de la Vème République tente de dissocier les deux pouvoirs : au chef de l’Etat de donner les priorités et la grille de lecture d’ensemble, au chef du gouvernement de prendre les décisions concrètes, sujet par sujet. A l’Elysée les orientations stratégiques, à Matignon les déclinaisons opérationnelles. D’un côté la vision de l’avenir, de l’autre les contraintes du présent. Pour les Français, le Président n’est pas celui qui doit descendre dans l’arène des décisions opérationnelles, mais celui qui doit au contraire donner les clés de la cohérence globale, de la cohésion sociale et de la performance à long terme. Cet acteur au caractère sacré détient la responsabilité du rappel des valeurs. Non celle de la résolution des problèmes qui incombe au Premier ministre.

Piégé par son équation personnelle, Nicolas Sarkozy n’a pas su, ni peut être même voulu assumer ce rôle. A l’inverse, en situation d’obtenir l’allégeance sans conditions des barons de son camp, puis de toute la gauche, François Hollande est libre de s’élever dans les valeurs en s’extirpant de la pression des réalités immédiates. Ainsi, il rencontre la France en quête d’un chef d’Etat sacralisable. Qu’il choisisse alors l’Ordre juste ou encore l’Egalité est secondaire. Notons le paradoxe du candidat qui se dit normal, et qui, puisqu’au-dessus de ses concitoyens, est tout au contraire a-normal et devient donc président.

Du discours à la pratique : le gouffre reste à combler

Sans passif politique, maître du parti, l’équipe entrante doit à présent s’assurer que les valeurs annoncées seront bien vécues. Mais passer du rêve à la réalité est autrement plus compliqué que de faire de bons discours. Appliquer le dogme suppose un processus légitime d’évaluation et de développement de chaque personne, chaque statut, chaque vœu, chaque option, chaque contrainte, chaque idée… Or, les systèmes d’information modernes rendent cet exercice chaque jour plus pressant : à la fois plus nécessaire car l’accès à une quantité de données toujours plus grande impose une plus grande transparence ; et plus difficile car ces nouveaux moyens techniques engendrent un désir culturel d’expression croissant, au point de faire prendre le risque de confondre l’intérêt général avec l’agrégat des intérêts particuliers. Face à cette évolution technico-culturelle massive, tous les dirigeants de la planète, tout comme les cadres de toutes les entreprises, partagent une même responsabilité : inventer de nouveaux modes relationnels et managériaux plus interactifs producteurs de diagnostics mieux partagés et de projets plus pertinents et engageants.

Les risques de crash multiples

Cependant, plusieurs terrains voient s’accumuler les risques de crises graves : finances publiques, marchés financiers, immigration, emploi, retraites, système de santé, Europe, changements climatiques, pollution de l’eau, de l’air, des sols… La non prise de conscience des périls et la non prise en main de leurs causes rend chaque problème plus périlleux. Chaque jour de retard augmente la difficulté. Qu’une urgence advienne et un dévissage pourrait s’en suivre :  traiter la flambée suppose un surcroit de moyens alors que l’on en manque ; il faudra donc ponctionner d’autres projets déjà au bord de l’asséchement ; or, un embrasement éteint à la hache produit de la désolation, du ressentiment, de la désimplication là où la clé serait au contraire le sur-engagement de chacun pour le collectif ; ainsi amené à trancher en désaccord avec les valeurs dont il se réclame, le chef d’Etat perdrait sa légitimité pour entraîner le corps social dans la résolution des problèmes suivants. Plus que de l’excitation du mécontentement, une crise ponctuelle pourrait ainsi se transformer en une crise de société et de système.

Demander à chaque citoyen de regarder la France dans les yeux

Anticiper de telles ruptures suppose de traiter une crise encore plus profonde : la crise culturelle. En effet, la France qui pense avoir gagné les deux guerres mondiales, qui vénère les Louis IX, François 1er , Louis XIV ou Bonaparte qui ne sont que de brillants perdants, la France qui ne sait pas qu’elle n’a conservé que 5% de son emprise territoriale de 1940 est-elle prête à se regarder en face ? Le Président Hollande sera-t-il capable de dire à tous qu’il ne détient pas lui-même tout seul les solutions, pas plus qu’il ne guérit les écrouelles ? Que seule la mise en commun des idées, des énergies, des savoirs de chaque citoyen permettra d’inventer les meilleures solutions ? Il nous faut pour cela un dispositif puissant de coordination multi thématique et multi territorial des envies de travailler ensemble, de vivre ensemble et d’être ensemble.

Saura-t-il contribuer à l’élaboration d’une méthode de gouvernance nouvelle capable de prolonger le génie français en conjuguant le règne du pensé avec la force de l’Etat centralisateur, impulseur unique des grands projets ?

Si le quinquennat qui s’ouvre ne produit pas l’invention et la mise en œuvre à grande échelle de nouvelles méthodes de réflexion collective, François Hollande serait bien vite avalé par l’histoire de France. Au contraire, si une telle dynamique était mise au point pour faire entrer le corps social dans la complexité, il serait celui qui aura redressé la France, mais aussi celui qui aura fait renaître l’esprit français dans le monde.

 

Jean-François Chantaraud

 

Cette tribune a été publié le 7 mai dans le journal numérique du Nouvel Economiste : cliquer ici pour voir l'article.

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