Observatoire du Dialogue
et de l'Intelligence Sociale
La raison la meilleure
devient la plus forte
?

L'Apogée des sociétés I - 1. Articulation des pouvoirs temporel et spirituelIntroduction à la Grille

Le premier enjeu du vivre ensemble et du réussir ensemble consiste à faire converger les décisions vers un idéal commun. Il s’agit donc de faire coïncider des éléments contradictoires : une quête d’absolu qui veut s’affranchir des contingences, et une absolue nécessité de respecter les réalités contraignantes du quotidien. Cela consiste à savoir conjuguer en continu des valeurs abstraites et des décisions concrètes.

Sans critères d’analyse partagés, il n’y a pas d’analyse partagée. Pour que les actes des uns soient admissibles et donc admis par les autres, il est donc nécessaire que tous partagent les mêmes repères, à travers lesquels il leur est alors possible de s’évaluer ensemble. Il s’agit de conjuguer les valeurs qui définissent l’idéal poursuivi et les décisions opérationnelles concrètes prises par chacun, à commencer par celles des chefs. Voilà la raison profonde pour laquelle les civilisations sont toujours composées de trois grands ordres distincts :

  • Les décideurs regroupés au sein d’une noblesse, au sommet de laquelle se situe un chef-roi qui prend les décisions opérationnelles ;
  • Les tenants du système de valeurs, composant un clergé qui se charge d’énoncer à sa façon ce qu’il estime juste pour la société comme pour les personnes ;
  • L’énorme majorité des acteurs, qui subissent les décisions des premiers et les grilles d’analyse des seconds[1].

Le rapport des forces respectives de ceux qui décident et de ceux qui disent le juste constitue un exercice continu de maintien de l’équilibre, dans lequel chacun des deux pôles tente d’exercer le plus d’influence, et donc d’acquérir le plus de pouvoir possible. Lorsque l’un des deux l’emporte radicalement sur l’autre, un seul acteur cumule alors les deux rôles, et se trouve dès lors en situation à la fois de commander et de justifier lui-même ses propres décisions.

 

 

Des despotes comme Napoléon Bonaparte ou Adolphe Hitler ont réussi à annihiler toute forme d’opposition interne en asservissant les mécanismes démocratiques. Mais leur légitimité n’a duré que le temps de leur capacité à réussir à tenir leurs promesses. Aussi, en quelques années, leur force d’entrainement a transformé leurs victoires initiales en défaites et à la ruine de leur pays.

A l’inverse, l’Angleterre (en 1660) et le Japon (en 1945) ont inventé le jeu institutionnel des chaises musicales : ces deux pays ont transféré le pouvoir spirituel à leur chef d’Etat, et ont confié leur pouvoir temporel à un chef de gouvernement indépendant. La Reine d’Angleterre est le chef de l’église anglicane, et l’empereur du Japon est le chef de la religion shintoïste.

 

Deux phénomènes se produisent alors pour cet acteur en situation simultanée de juge et de partie prenante elle-même concernée par ses arbitrages : sans d’autre relais d’opinion, de courroie de transmission, et surtout de vecteur d’objectivation que lui-même, il lui devient plus ardu de faire adhérer à ses décisions ; sans contrepouvoir capable d’exercer au plus haut niveau une capacité intellectuelle de vigilance critique, ni doté d’une aptitude structurelle, juridique et politique à exprimer les non-dits et à signaler les risques d’impasse, la porte est alors grande ouverte aux erreurs les plus grandes et donc aux échecs les plus fâcheux. La fusion des deux pouvoirs, le temporel et le spirituel, réduit petit à petit les contre-pouvoirs, et prépare des décisions moins précises qui vont constituer la succession des fautes de gouvernement qui engendreront plus tard la chute de la structure.

Il convient donc d’articuler les interactions entre les pouvoirs afin de mettre œuvre une méthode de prise en compte des idées pour produire des diagnostics partagés entre le plus d’acteurs possible.

 

Cela suppose d’organiser une dialectique inclusive, qui intègre en transparence les informations pour que nul acteur ne soit jamais en situation d’imposer ses vues à la faveur de l’opacité et que tous comprennent les raisons des décisions et y consentent avec lucidité.

 

[1] Voir « Gouvernance, Lien social et Performance : une vision du monde », pages 135-137, La Documentation française, 2012.

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