Observatoire du Dialogue
et de l'Intelligence Sociale
La raison la meilleure
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?

L'éthos européen : inventeur de démocratieI - 9. Impact de la culture démocratique sur la performance durable

La superposition de la carte géopolitique de l’Europe au moyen-âge avec celle du PIB par habitant aujourd’hui permet de constater l’impact durable des mécanismes de partage du pouvoir : les territoires sur lesquels existaient des cités-Etat au Moyen-Age, dont la gouvernance relevait de la démocratie aristocratique (carte du haut), sont aujourd’hui encore parmi les plus riches en termes de PIB/habitant (carte du bas). La comparaison de l’implication des citoyens dans la démocratie de proximité en France et en Allemagne donne une autre illustration de l’impact durable de la gouvernance démocratique : c’est bien la tradition démocratique ancestrale qui permet de remplir les salles des Conseils de district en Allemagne, et c’est bien la culture de concentration des pouvoirs dans les mains du chef qui laisse les salles de Conseils de quartier français vides, à l’exclusion des seuls amis et ennemis de l’élu. L’impact de la gouvernance est donc profond et durable tant sur la performance que sur le lien social.

Idem pour les acteurs politiques, à qui il reste peu de marges de manœuvre pour naviguer entre la pression des grands médias dominants et l’opinion publique schématique. Quand l’intérêt général le cède aux échéances électorales, les citoyens se détournent des affaires de la cité, ce qui consolide la victoire de l’immédiateté et de ceux qui défendent le mieux leurs propres intérêts particuliers sur les grands enjeux : c’est le règne du dictateur invisible[1], chacun s’en remet à l’autre et tous sont immobilisés.

Face à l’impossibilité de prendre l’intérêt général en charge, chacun n’a d’autre solution que de s’occuper de ses enjeux personnels. Ainsi, les acteurs qui sortent le mieux leur épingle du jeu ne sont pas ceux qui ont la meilleure connaissance du monde et des affaires de la cité, mais ceux qui ont la connaissance de personnes compétentes et influentes[2]. La surperformance de ceux qui ont des réseaux personnels se retrouve dans tous les métiers, les enfants suivant les traces de leurs parents, mais aussi dans le quotidien pour obtenir un rendez-vous rapide chez le bon médecin, dans la bonne école, chez le bon garagiste, dans le bon restaurant… Encore aujourd’hui, c’est le portefeuille relationnel qui fait la différence, au plus haut niveau de la hiérarchie sociale comme au quotidien. La démocratie représentative n’a pas aboli la démocratie aristocratique : elle l’a amélioré en ouvrant des voies complémentaires aux personnes et aux idées.

 

c. Emergence d'une conscience universelle

Ceci étant, les télécommunications nous font entrapercevoir l’entièreté du monde.

 

  • Les réseaux sociaux

Nées au tournant de l’an 2000, les communautés internet permettent à chacun d’être désormais en lien avec bien plus de personnes que par le passé. Certes, les échanges d’information sont encore le plus souvent limités à des enjeux très personnels, mais la technique est là pour passer bientôt à des interactions sur des sujets plus sophistiqués.

  • La terre, bien commun depuis 1966

Nous avons tous vu de nombreuses photos de la Terre prises depuis l’espace. Mais le premier cliché ne date que du 23 août 1966, réalisé à proximité de la Lune par le Lunar Orbiter 1 de la NASA, qui explorait des sites potentiels d’alunissage pour Apollo XI.

Il n’y a donc qu’à peine cinquante ans que cette photo, et toutes les suivantes, permettent aux terriens de voir leur planète comme une seule et même maison commune. Ceci est une rupture dans l’histoire de notre relation personnelle avec ce bien commun qu’est la Terre, ainsi que dans les relations entre les peuples, qui paraissent tous bien plus petits vus d’en haut, et dont les frontières invisibles peuvent sembler factices. Avec le temps, cette perspective nouvelle contribue à bâtir une culture de paix entre les civilisations et les générations.

  • L'homme, ses ancêtres et ses cousins

En s'interrogeant sur qui nous sommes et d'où nous venons, nous découvrons une autre raison d'écouter : la généalogie nous démontre que nous avons tous le même arbre dès que nous remontons de quelques centaines de générations. En effet, chacun de nous est issu de deux parents, quatre grands-parents, huit arrières grands-parents, etc... Le nombre de nos ancêtres double à chaque génération, soit tous les vingt ans en moyenne.

Cent ans avant sa naissance, chacun de nous compte donc trente-deux aïeux contemporains les uns des autres. Un siècle plus tôt, chacun de nos trente-deux aïeux compte lui-même trente-deux aïeux coexistant. En cinq siècles, chaque personne totalise 33,5 millions d’aïeux vivant simultanément (plus que la France de l’époque ne comptait d’habitants) chacun de ces 33,5 millions d’aïeux d’entre elles en compte autant 5 siècles plus tôt..!

La réalité dépasse notre entendement. Imaginons une machine à remonter le temps. Aux environs de l’année 1400, chacune des personnes vivant en 2014 compte plus d’ancêtres que l’ensemble de la population mondiale n’en comptait alors..! En arrivant en l'an 1300, la 37ème génération de nos ancêtres compte, à elle seule, 10 milliards de personnes qui appartiennent à notre famille et vivent à la même époque. En l’an 0, chacun d'entre nous devrait croiser 10 milliards x10 milliards x10 milliards d'aïeux, alors que la terre dans son ensemble ne comptait pas quatre cent millions d'âmes à cette époque, et que l’Europe n’en comptait pas 50 millions[3].  

Impossible de ne pas avoir de nombreux liens de parenté avec chacune des personnes que nous connaissons, que nous croisons dans les rues ou via les outils de télécommunication. Nos arbres généalogiques sont étroitement entremêlés de multiples croisements. Et le phénomène est exponentiel : 1 600 générations se sont écoulées en 40 000 ans, alors que la population mondiale totalisait environ 200 000 hommes ; 240 000 générations nous séparent du premier australopithèque qui vivait il y a 6 millions d’années et dont nous descendons tous. Il est donc évident que chacun de nous a de nombreux liens avec chaque autre personne. La certitude est avérée que nous avons tous les mêmes ancêtres. La seule incertitude porte sur notre degré précis de parenté dans le passé proche avec une personne précise, lorsque nous ne prenons en compte que quelques poignées de générations. Bien sûr, ce degré dépend des brassages de populations intercontinentales et interethniques.

Mais comment avoir conscience de notre proximité avec nos interlocuteurs, alors même que nous ne connaissons pas le passé de notre propre famille. En effet, en ne remontant, ne serait-ce que de trois générations, qui connait le nom propre et le prénom de ses huit arrières grands-parents ? Et qui a eu, ne serait-ce qu’un contact, avec tous les descendants des quatre couples qu’ils formaient ? Si nous ne les connaissons pas tous, il est possible que nous les ayons néanmoins rencontrés sans le savoir. Que nous soyons cousins à la cinquième, dixième, trentième ou centième génération n'a pas d'importance : nous le sommes !

Nous voilà donc tous de la même famille. Pourquoi limiter le degré de notre compassion à celui de notre proche parenté ? Proximité génétique ne vaut pas raison. Ecoutons les arguments de tous, sans favoritisme, dans une dynamique de fraternité universelle.

  • Les systèmes démocratiques universels

Les premières tentatives de construction de super structures démocratiques à vocation universelle eurent lieu en 1918, avec la Société Des Nations, puis l'Organisation des Nations Unies en 1945[1]. En quelques décennies, un véritable maillage de systèmes à caractère républicain se tisse, la plupart interconnectés de manière démocratique. Il n'y a pas un pouvoir, mais des pouvoirs : l’O.N.U., l’O.M.C., le F.M.I., la Banque Mondiale, sont autant de lieux de débats et de prises de décisions en construction. Ils ne prennent leur autorité à quiconque, mais un peu à tous. Lentement, mais certainement, nous nous tournons vers une organisation internationale composée de multiples contre-pouvoirs.

Dans cette dynamique d’une gouvernance internationale d’alliance des civilisations, l’Europe occupe une place à part. Pour la première fois dans l'histoire des peuples[2],  une organisation étatique grandit par osmose, et non par absorption. La Communauté Economique Européenne en 1957, devenue Union Européenne en 1994 avec ses parlements nationaux contraints au dialogue, son conseil des ministres décidant à la majorité qualifiée, sa Cour de Justice, sa Banque Centrale, détient en germe la démocratie la plus sophistiquée, car constituée de différentes sphères de pouvoirs indépendantes les unes des autres. Certes, elle est jeune et l'on peut objecter de son inefficacité sur de nombreux points, mais son fonctionnement est encore inachevé... Patience ! Tout n'est pas fait, mais que de chemin parcouru dans le sens du dialogue entre ces peuples qui n'ont cessé de se combattre au cours des siècles ! Vingt guerres opposèrent l'Allemagne à la France en quatre cents ans, période pendant laquelle jamais vingt années ne se sont écoulées sans qu'un conflit armé n'oppose deux Etats aujourd’hui membres de l’Union... Les démocraties ont vaincu la guerre par le dialogue. Le pire est évité ; assurons-nous à présent du meilleur.

 

[1] Les premières organisations internationales (associations libres d’Etats, dotée d’un organe commun chargé d’organiser la coopération) sont apparues à la fin du XIXème siècle pour traiter de la coordination de systèmes de communications : Union Internationale du Télégraphe en 1865 et Union Générale des Postes en 1874.

[2]  Athènes fit échouer en quelques décennies la fédération des cités grecques au Vème siècle avant J.C. La fédération des Etats-Unis d’Amérique s’est élaborée sur une feuille quasi blanche, ou tout au moins considérée par les conquérants comme telle, sans tenir compte des résidents qu’étaient les Indiens d’Amérique.

 

[1] ODIS - L’état social de la France, La Documentation française, 2004.

[2] Pour ne prendre que quelques exemples des sphères politiques et sociales : Georges W. Bush, fils de Georges H. Bush ; Hillary Clinton, femme de Bill Clinton ; Robert et Edward Kennedy, frères de John Kennedy ; Martine Aubry, fille de Jacques Delors ; Pierre Gattaz, fils de Yvon Gattaz ; François Chérèque, fils de Jacques Chérèque ; les jumeaux Jean-Louis et Bernard Debré, fils de Michel Debré...

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