Le Télos européen : inventer la démocratie citoyenneIII - Propositions aux acteurs
1. Instaurer la 3ème génération de systèmes démocratiques
La démocratie citoyenne consiste à activer la part de responsabilité intellectuelle qui réside en chaque personne. Il s’agit de développer la capacité de chacun à contribuer à la recherche de l’intérêt général en prenant en compte la diversité des sources d’informations afin d’assumer tous les faits, toutes les idées et toutes les personnes. Pour les dirigeants, cela suppose d’organiser la participation de tous à la construction d’un raisonnement partagé le plus fouillé possible, qui conclut aux conclusions les plus pertinentes possible.
Si personne ne peut prétendre à la cohérence parfaite, pour autant nous ne sommes pas tous schizophrènes : tout au long de la journée, de la semaine, du mois, de l’année, de notre vie, nous développons des comportements que nous reproduisons dans toutes les sphères. Nous avons tendance à adapter nos modes d’action et d’interaction aux opportunités que nous offrent nos environnements. Pour la plupart, nous exerçons nos responsabilités à hauteur de nos possibilités structurelles de les assumer. Aussi, nous intervenons plus et mieux à mesure que nous en avons la possibilité. Cette aptitude qui se développe dans l’une des sphères de notre parcours personnel est utilisable dans toutes les autres sphères. Aussi, chaque décideur, dans les sphères privées et sociales (parents, amis…), professionnelles (chef d’entreprise, syndicaliste, manager…) et sociétales (élus territoriaux, nationaux, européens…) doit adopter un nouveau mode de fonctionnement et renouveler l’organisation de ses interactions avec tous ses interlocuteurs, et même avec toutes ses parties prenantes. Chacune de ces réflexions collectives bénéficie aux organismes qui les déploient, mais tout aussi important, sinon plus, elles abondent toutes à l’ancrage d’une culture de responsabilité de chacun vis-à-vis de tous. Toutes ces démarches convergentes contribuent à la construction simultanée du mieux vivre ensemble et du mieux réussir ensemble à long terme.
Les limites de la communication traditionnelle descendante
Les grands dirigeants économiques, politiques ou sociaux ne prennent pas de décision stratégique sans avoir au préalable consulté des spécialistes. Dans la sphère politique, le gouvernement saisit généralement des experts (conseillers ministériels, cabinets d’études, personnalités …) qui élaborent un diagnostic et formulent des recommandations. Les décisions sont alors prises, puis communiquées aux citoyens.
Mais, à une époque où chaque citoyen s’estime désormais en situation de se forger une opinion sur les sujets qui le concernent, ce mode de fonctionnement qui relève de la démocratie représentative devient insuffisant. Lorsque les citoyens n’ont pas été associés à la réflexion en amont de la prise de décision, ils peuvent s’estimer en droit de penser que leurs informations, idées et analyses n’ont été ni entendues ni prises en compte. Par conséquent, jugeant que les dirigeants n’ont fait qu’un diagnostic partiel, il peut leur arriver de rejeter la décision par principe. Dans ces conditions, la communication qui consiste à expliquer des décisions prises peut être perçue comme une forme de propagande qui vise à « vendre » des positions politiques aux citoyens, plutôt que comme une démarche démocratique de co-construction transparente.
Comment éviter le rejet a priori de la réforme ?
A l’ère d’Internet, tout décideur est confronté à cette difficulté croissante de construire l’adhésion aux besoins de changement, et, a fortiori, aux solutions qu’il adopte. Cette source de blocages ne peut être traitée que par un processus dans lequel chacun se reconnaît et qui suppose que chacun ait la possibilité de vérifier que ses propres informations ont bien été prises en compte, de façon objective, bienveillante mais sans complaisance pour quiconque en particulier. Cela suppose la mise en place de mécanismes d’appropriation par les citoyens non pas des décisions des dirigeants, mais des enjeux du collectif. Il s’agit de concevoir et d’installer, en plus des processus classiques de décision, des processus de réflexion préalable à la décision : consulter les citoyens [ou les collaborateurs dans l’entreprise] non pas sur leur satisfaction vis-à-vis des décisions prises, mais en amont des décisions, pour que chacun contribue à la formulation du diagnostic et des raisons éventuelles de la nécessité du changement, mais aussi à l’étude comparative des arbitrages possibles. A mesure de la compréhension partagée des contraintes et des opportunités, la décision devient plus claire, y compris lorsqu’elle déstabilise des intérêts particuliers et corporatifs pour mieux les équilibrer.
Mesurant mieux la complexité de la situation, se projetant mieux dans un avenir à plus long terme, les personnes s’extraient alors peu à peu de leurs réflexions partielles et partiales pour entrer dans un raisonnement moins subjectif, prenant en compte un plus grand nombre de paramètres.
Inventer et promouvoir une culture et une méthode de dialogue
Le développement d’une posture favorable au changement naît de la conscience de la complexité des enjeux, de l’enchevêtrement des intérêts particuliers, des phénomènes sociaux, économiques, politiques, culturels. Pour opérer les croisements, chacun doit êtr considéré comme partie prenante à part entière. Alors seulement peut naître la confiance dans un mécanisme d’écoute de toutes les sources d’information, de recherche de toutes les données et idées, engendrée par le sentiment personnel d’être écouté et entendu.
Donner la parole n'est pas donner raison !
Mettre en place ce type de mécanisme suppose de construire un système dans lequel l’information circule selon un triple mouvement : ascendant, descendant et latéral. Il convient pour cela de mobiliser tous les acteurs en situation d’intermédiation dans la société (organismes professionnels, réseaux associatifs, collectivités locales, etc.) et dans l’entreprise (partenaires sociaux, collaborateurs, encadrement, clients, fournisseurs, partenaires, etc.) dans la réflexion collective préalable (et non dans la décision, qui appartient au décideur) pour piloter le changement sans heurt, en anticipant les conflits. L’implication des personnes dans la réflexion en amont a une vertu responsabilisante qui fluidifie la formulation et la mise en œuvre du changement en aval.
Le Télos européen : inventer la démocratie citoyenne