Organiser le dialogue
 
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Chronique 17 - La société transforme le profil du dirigeant En transformant la nature de l'activité économique, la sortie de l'ère industrielle transforme les compétences nécessaires pour un dirigeant.

Quatre phases peuvent être distinguées : le technicien, le commercial, le financier puis la dimension humaine qui reste à accomplir.

Dans les années 1950, c'est la "dimension Technique" qui règne

graphLa première transition énergétique nous a fait sortir de l'agriculture pour entrer dans l'ère industrielle. L'essor du secteur secondaire est lié à la progression des sciences et techniques qui ont rendu possible la fabrication à grande échelle. Alors, jusqu'au milieu du XXe siècle, celui qui maîtrise les processus techniques maîtrise l'usine.

  • L'innovation est la marque de fabrique de l'entreprise. C'est donc l'ingénieur qui est en position de diriger l'entreprise. L'invention technique est l'acte de naissance de l'entreprise. L'inventeur du presse-purée dirige Moulinex, et celui de la cocotte-minute dirige Seb. Louis Renault, André Citroën, Marcel Dassault, Ferdinand Krupp, Ferdinand Porsche, Henri Ford... : tous grands techniciens !
  • Le Directeur des ressources humaines est alors un technicien de la gestion du personnel. Souvent issu du monde militaire, il est avant tout juriste et garant de l'application des règles et de la bonne application des décisions de la direction de son entreprise.
  • Dans la sphère sociale, c'est en 1945 qu'est institué le rôle des partenaires sociaux. Ils se voient consentir une responsabilité juridique en obtenant de devenir un passage obligatoire pour certains actes de gestion : c'est la naissance du dialogue social à la française.
  • Dans la sphère publique, on crée l'ENA en 1945, Ecole Nationale d'Administration pour former des techniciens de la chose publique.

Au tournant des années 1960/70, la "dimension Commercial / marketing" devient prédominante

L'irrigation de la société par les écoles d'ingénieurs à nivelé les produits par le haut : les offres des entreprises se sont trouvées en concurrence. C'est le règne du commerce. Entre 1957 et 1962 naissent les chaînes de grandes surfaces de distribution de produits de consommation courante telles que Wal-Mart, McDonald's, Darty, Auchan, Carrefour et autres E. Leclerc. Dès lors, l'enjeu n'est plus seulement de mieux inventer, mais aussi de faire valoir son invention. L'enjeu n'est plus alors de fabriquer le meilleur produit, mais de le positionner par rapport à ceux des concurrents, souvent tout aussi valables, puisque conçus et fabriqués par des ingénieurs issus des mêmes écoles.

  • C'est l'époque de l'essor des écoles supérieures de commerce, Didier Pinault-Valencienne, diplômé d'une école de commerce (HEC), prend la tête de Schneider, fleuron de l'industrie, dirigé depuis 100 ans par des ingénieurs polytechniciens.
  • En période de plein emploi, le Directeur des ressources humaines devient un psychologue, un recruteur capable de vendre son entreprise aux meilleurs candidats.
  • Dans la sphère sociale, les lois sur l'intéressement organisent progressivement en France, à compter de 1955, la participation de salariés aux fruits de l'expansion de l'entreprise, jusqu'à la rendre obligatoire en 1967 dans les entreprises de plus de 100 salariés.
  • Dans la sphère publique, en 1965, un candidat aux premières élections présidentielles au suffrage universel, Jean Lecanuet, engage comme directeur de campagne non pas un homme de dossier mais un conseiller en communication, Michel Bongrand, qui façonne le « Kennedy français ». Résultat : en quelques semaines de campagne, Jean Lecanuet jusqu'alors inconnu obtient plus de 15% des suffrages et contribue à mettre le libérateur Charles de Gaulle en ballottage face à François Mitterrand candidat unique de la gauche.

Au début des années 1980, c'est la "dimension Financière" qui l'emporte

Entraînés par la crise économique, la survie de l'entreprise dépend de sa santé à court terme. Nous entrons dans l'ère de la finance.

  • Jacques Calvet, président de la BNP, prend la tête de l'industrie automobile PSA. Le banquier passe maître dans l'usine : c'est l'ère de l'argent-roi.
  • Le Directeur des ressources humaines devient un gestionnaire qui assume lui aussi la dimension économique. Il est progressivement responsable des plans d'intéressement, des Plans d'Epargne Entreprise et de la participation des salariés au capital de leur entreprise, autant de vecteurs de liens à l'entreprise, tous à caractère financier, mais aussi de la conception et de la mise en œuvre de plans sociaux.
  • Dans la sphère sociale, les partenaires sociaux sont de plus en plus associés à la réflexion sur les perspectives économiques et leurs conséquences sur l'emploi. C'est en 1982 que sont créés les comités de groupe en France. C'est aussi à ce moment que sont votées les lois Auroux, qui mettaient l'accent sur la responsabilisation des partenaires sociaux.
  • Dans la sphère politique, on entre dans l'ère de la gestion. Laurent Fabius met en place une politique de rigueur et met fin à l'autre politique de Pierre Mauroy.

Dans les années 2000, l'importance croissante de la "dimension humaine" se fait jour

A l'ère des services, l'entreprise n'a plus d'usine, plus de machines, plus de produits et même parfois plus de bureaux pour lieu de travail : il ne lui reste plus que des personnes et des intelligences.

  • Les DRH ont ainsi de plus en plus de chances de devenir directeur général ou président de leur entreprise, à l'image de Cathi Kopp chez IBM France, Jean-Paul Bailly à la RATP, Nonce Paolini chez TF1, ou Bruno Mettling aux Banques Populaires. Lorsque la place n'est pas disponible en interne, certains Directeurs des Ressources Humaines deviennent dirigeants en changeant d'entreprise, comme Rose-Marie Van Lerberghe, qui préside le groupe Korian depuis 2006, après avoir été DRH du groupe Danone entre 1993 et 1996.
  • Dans quasiment toutes les entreprises, le Directeur des ressources humaines participe désormais au Comité de direction, devient le trait d'union entre l'équipe de dirigeants et les salariés : en prise directe avec le terrain, il/elle est celui/celle qui rend possible l'ascendance de l'information, des attentes mais aussi des propositions d'optimisation des produits, services et modes de travail formulés par les salariés. Il se doit d'acquérir une capacité de stratège pour organiser, la participation des salariés au profit de l'ensemble des entreprises, cela y compris dans les entreprises industrielles, à l'image de SEB, dont les ouvriers vont au contact des consommateurs dans les rayons des supermarchés, et qui prennent ainsi conscience de la dimension concurrentielle de leur travail et de la nécessité de rester en permanence dans une logique de remise en question et de recherche du mieux. Le DRH qui développe ce type de démarche contribue à forger la vision la plus avant-gardiste de son entreprise, mais aussi de son évolution souhaitable.
  • C'est la capacité du syndicat à prendre en charge l'ensemble de la dimension humaine qui fait la différence. L'expansion de l'Unsa tient à ses travaux approfondis sur des enjeux tels que le harcèlement moral. La CFE CGC expérimente une démarche de Nouveau dialogue.
  • Sur le plan politique, c'est l'initiative du Grand débat.

Les interactions doivent non seulement être conduites avec chacune des parties prenantes, mais aussi entre elles. Les différentes catégories d'acteurs doivent désormais être confrontées aux enjeux et aux solutions proposées par les autres. Maître du lien avec et entre tous, le dirigeant doit déployer des méthodes qui placent chacun en position d'écoute de tous, et réciproquement. Alors seulement il devient possible à la fois de réactualiser de façon optimale en continu l'analyse de la situation, des expériences et des idées nouvelles.

Prendre l'individualisme à son propre piège

La victoire de la société de jouissance dans le courant des années 1960 pourrait être considérée comme la première phase de l'émancipation de la Personne : l'idéal serait de transformer l'envie immédiate d'être, qui est devenue l'envie immédiate d'avoir avec la société de consommation, en un projet individuel consistant à se chercher, s'assumer pour devenir ce que l'on est. Reste à ériger la société de la conscience et du savoir.

Un nouvel enjeu économique, social, culturel et politique : l'Intelligence sociale

C'est bien d'une nouvelle génération de compétences relationnelles et managériales qu'il s'agit de faire émerger : la capacité à poser des diagnostics partagés et à projeter les interlocuteurs dans un avenir commun, ainsi que le corps social dans un projet collectif ambitieux. Se doter d'infrastructures ne suffit pas : il faut proposer une vision ambitieuse de l'avenir, mais aussi de l'histoire, dans laquelle chacun se retrouve. Cela suppose d'aménager le cadre relationnel de façon à orchestrer l'articulation des informations et formuler des propositions dans lesquelles chacun pourra se retrouver.

La performance de l'ensemble du corps social provient de cette logique d'expression optimisée des personnes, des faits et des idées, thème par thème, territoire par territoire, organisation par organisation, qu'elles soient publiques ou privées, qui permet de renforcer l'attention de tous et de construire la recherche systématique de meilleures décisions. Des projets collectifs de meilleure qualité construisent des sociétés mieux gérées. De là découle la croissance économique, qui permet d'intégrer le plus grand nombre dans l'emploi, dans des positions et des conditions plus favorables. Il s'en suit un apaisement des relations sociales propice à l'ouverture de la participation de plus de personnes, lesquelles se trouvent dans des niveaux de plus en plus élevés de responsabilités intellectuelles, sociales et sociétales. Plus d'expériences, d'informations, d'analyses et de propositions étant partagées, les diagnostics et les décisions peuvent voir leur qualité augmentée. La spirale vertueuse du progrès économique et social, de développement durable, peut alors s'enclencher.

NOTES

(*) Afin d'éviter les écueils des faux dialogues générateurs de suspicion, de rupture et de conflits, La Tribune ouvre ses colonnes à l'Odissée. Pilotée par son directeur et expert de la dialectique, Jean-François Chantaraud, la chronique hebdomadaire « Ne nous fâchons pas ! » livre les concepts, les clés opérationnelles de la méthode en s'appuyant sur des cas pratiques et sur l'actualité.

L'Odissée, l'Organisation du Dialogue et de l'Intelligence Sociale dans la Société Et l'Entreprise, est un organisme bicéphale composé d'un centre de conseil et recherche (l'Odis) et d'une ONG reconnue d'Intérêt général (Les Amis de l'Odissée) dont l'objet consiste à "Faire progresser la démocratie dans tous les domaines et partout dans le monde".

Depuis 1990, l'Odissée conduit l'étude interactive permanente Comprendre et développer la Personne, l'Entreprise et la Société. Dès 1992, elle a diffusé un million de Cahiers de doléances, ce qui l'a conduit à organiser des groupes de travail regroupant des acteurs des sphères associative, sociale, politique, économique qui ont animé des centaines d'auditions, tables rondes, forums, tours de France citoyens, démarches de dialogue territorial et à l'intérieur des entreprises.

Chronique du 05/05/2019 La Tribune 

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