Chronique 28 - L'objectivité du cadre du dialogue. Etre objectif ne suffit pas, il faut aussi le paraitre.
NE NOUS FÂCHONS PAS! Chaque semaine, l'Odissée (*) présente une chronique proposant un Discours de la méthode 2 ! Aujourd'hui : être objectif ne suffit pas, il faut aussi le paraitre
L'objectivité est un état personnel qui consiste à « vouloir dialoguer » et à « savoir dialoguer ». Mais, pour dialoguer, il faut être au moins deux. Il faut donc que les interlocuteurs en aient tous envie ! La confiance dans le processus de dialogue est un préalable au dialogue : chacun doit percevoir qu'il est doté d'un réel « pouvoir dialoguer ».
Pour participer à une réflexion collective, chacun doit être convaincu qu'il sera écouté, entendu et compris. Cela suppose d'accorder aux organisateurs sa confiance a priori : il faut en effet d'abord s'exprimer pour ensuite seulement pouvoir vérifier que l'on aura bien été pris en compte.
L'objectivité personnelle de l'animateur compte, mais celle du cadre global plus encore. Ressentie par chacun, subjective, cette légitimité indispensable est très sensible.
Petites erreurs, mais conséquences lourdes
Être reconnu comme juste suppose de ne pas avoir de parti pris, mais aussi d'être perçu comme tel. Il faut donc gérer plusieurs phénomènes :
- 1/ Réflexion // Décisions : le dialogue est n'est pas un instant de décision (voir précédentes chroniques sur les pouvoirs temporel et spirituel).
- 2/ Conflits historiques : le passif des relations interpersonnelles parfois difficiles.
- 3/ Dominants : la prédominance d'un type d'acteurs capables d'imposer leur regard aux autres.
- 4/ Ecartés : l'absence visible ou perçue de certaines parties prenantes concernées.
L'existence d'un seul de ces facteurs suscite la méfiance et réduit d'autant l'attractivité du dialogue. Cela alimente une chaine négative de comportements défavorables qui atténuent encore le partage des diagnostics, l'appropriation des projets et donc l'efficience du dialogue lui-même :
- Les revendicatifs accaparent le débat :
- Repliés : défense d'intérêts particuliers contre tous les autres.
- Négociateurs : défense d'une opinion sans intégrer celles des autres.
- Colonisateurs : marquage du territoire pour conquérir le pouvoir.
- Les résignés se détachent du débat :
- Abstentionnistes : inutilité d'exprimer son accord ou son désaccord.
- Non-inscrits : prétexte d'imperfections pour ne pas participer.
- Distanciés : participation, mais retrait a priori des conclusions.
- Les débatteurs manqués participent en vain :
- Opposants : opposition aux organisateurs a priori.
- Communicants : occupation de la tribune pour paraître.
- Impuissants : ceux qui veulent réellement contribuer à la recherche du Bien commun et l'intérêt général sont réduits à l'impuissance.
La montée de chacune de ces catégories de profils au sein d'un corps social complique l'élaboration d'un raisonnement collectif : il devient difficile de conjuguer la complexité, de repousser les frontières de la créativité et de produire des conclusions qui recueillent l'adhésion de tous. Raté, le dialogue devient inutile.
Le dialogue ne peut donc se dérouler que dans un cadre objectif, qui gomme et déconstruit les a priori de chacun pour chercher ensemble un meilleur niveau de compréhension de tous les enjeux et toutes les alternatives.
De l'éthique de la personne à l'éthique du cadre relationnel.
En conséquence, pour ne pas s'embourber dans un processus vain, tout organisateur de dialogue doit sans répit apporter à ses interlocuteurs des preuves de son objectivité.
Cela suppose de respecter deux critères qui relèvent de l'animateur lui-même et deux autres qui relèvent du processus global :
- 1/ Une posture intellectuelle d'inclusion des vécus, savoirs et idées. Les animateurs doivent être reconnus pour leur envie de comprendre chaque personne, leur ouverture d'esprit inclusive de toutes les informations, toutes les analyses et toutes les propositions. Si certains participants pensent que les organisateurs ont un prisme idéologique ou un intérêt particulier masqué, ils ne leur reconnaissent alors pas la légitimité suffisante pour formuler des synthèses et tirer des enseignements. Dès lors, ils ne partagent plus les diagnostics et ne s'approprient plus les projets, fussent-ils optimaux.
- 2/ Le statut de l'animateur, qui ne peut être juge et partie. Ni la fonction, ni le statut social, ni même l'expertise sur les sujets traités ne suffisent à fonder la légitimité pour organiser le dialogue. C'est même souvent désormais l'inverse. Le dialogue ne doit pas être animé par l'une quelconque des parties prenantes. A commencer par les dirigeants eux-mêmes, qui doivent rester en recul pendant les phases d'échanges pour qu'elles ne soient pas confondues avec des phases de décision : l'un des participants peut animer au sein de petits cercles ; un animateur externe sur des enjeux plus délicats ; une entité spécifique sur des enjeux stratégiques.
- 3/ Une méthode de recherche exhaustive et d'analyse transversale de l'information. Toute erreur dans l'écoute, la reformulation, la mise en perspective des propos de l'un quelconque des participants est destructrice de l'ensemble de l'échange. L'animateur doit faire preuve à chaque instant de bienveillance mais aussi de non complaisance dans le questionnement de chacun des intervenants, tout en établissant des liens progressifs entre tous les propos.
- 4/ La capacité à activer la participation constructive de toutes les parties prenantes concernées par le sujet. Si certains acteurs ne sont pas impliqués, leurs informations et analyses ne sont alors pas prises en compte de façon certaine et vérifiable par tous. Dans ces conditions, chacun perçoit qu'il est possible que les idées et analyses ne sont pas sur un pied d'égalité. Or, ceux qui pensent qu'ils n'ont pas été représentés dans la réflexion peuvent alors arguer que la conclusion ne les représente pas non plus. Il faut donc faciliter l'expression de chaque profil d'acteurs et répartir la parole de façon équitable, y compris aux absents.
Si l'un de ces quatre éléments est pris en défaut, le dialogue est partiel et le cadre de dialogue devient alors partial.
Un vrai dialogue se déroule dans un cadre neutre, inclusif et constructif et qui conserve cette image aux yeux de tous et tout au long du processus. Cela requiert de tenir compte de la perception de chaque partie prenante et de s'y adapter en continu et en transparence. Point de vrai dialogue dans un cadre dont l'apparence ne reflète pas une vraie objectivité !
Illustrations
- Accords de Camp David, d'Oslo
- Des médiateurs et des terrains lointains pour construire un accord Israéliens - Palestiniens.
- Pouvoirs temporel et spirituel
- Toutes les civilisations ont dissocié les porteurs de décisions des porteurs de valeurs.
- La justice
- Les époux ne peuvent témoigner l'un contre l'autre pour être trop proches l'un de l'autre.
__
NOTES
(*) Afin d'éviter les écueils des faux dialogues générateurs de suspicion, de rupture et de conflits, La Tribune ouvre ses colonnes à l'Odissée. Pilotée par son directeur et expert de la dialectique, Jean-François Chantaraud, la chronique hebdomadaire « Ne nous fâchons pas ! » livrera les concepts, les clés opérationnelles de la méthode en s'appuyant sur des cas pratiques et sur l'actualité.
L'Odissée, l'Organisation du Dialogue et de l'Intelligence Sociale dans la Société Et l'Entreprise, est un organisme bicéphale composé d'un centre de conseil et recherche (l'Odis) et d'une ONG reconnue d'Intérêt général (les Amis de l'Odissée) dont l'objet consiste à "Faire progresser la démocratie dans tous les domaines et partout dans le monde".
Depuis 1990, l'Odissée conduit l'étude interactive permanente Comprendre et développer la Personne, l'Entreprise, la Société. Dès 1992, elle a diffusé un million de Cahiers de doléances, ce qui l'a conduit à organiser des groupes de travail regroupant des acteurs des sphères associative, sociale, politique, économique qui ont animé des centaines d'auditions, tables rondes, forums, tours de France citoyens, démarches de dialogue territorial et à l'intérieur des entreprises.