Organiser le dialogue
 
?

Chronique 48 - La pandémie, l’état social et les trois scénarios français

Avec le double confinement, le millésime 2020 restera dans l’histoire. La société est touchée et l’Etat pourrait être coulé. Le moment du choix de sa nouvelle forme pourrait bien approcher.

 

Gestion aléatoire de la pandémie

Contrairement au satisfecit du Chef de l’Etat, en France comme ailleurs, la Covid a été jugulée par l’été, non par l’action du gouvernement. Les Français peuvent avoir plusieurs motifs d’insatisfaction :

  1. Sanitaire. Le confinement français a été bien plus drastique dans l’hexagone qu’ailleurs. Pourtant, la quantité de décès a été plus élevée en France, alors même qu’elle n’a même pas compté tous ses morts de la Covid non hospitalisés du fait de leur âge.

  2. Economique. Certes, l’Etat a pris sur lui de soutenir directement l’économie. Mais il faudra un jour rembourser ces aides, de l’ordre de cinquante milliards d’Euros (trente pour la première vague, plus au moins vingt pour la seconde). Or, nombre d’entreprises ne seront pas en situation de le faire car elles auront disparu ou seront en grande difficulté. En outre, l’Etat a déjà dépensé le soutien prévu par le plan européen, qui n’est toujours pas approuvé et qu’il faudra de toutes façons rembourser aussi. De plus, la baisse de PIB est plus importante en France que chez nos voisins : à chacune de leurs publications, tous les indicateurs de mesure de l’activité et des prévisions économiques sont bien plus sombres pour la France que pour nos voisins responsables.

  3. Finances publiques. Déjà en déficit annuel de 89 Milliards d’Euros sur un budget de 232 Milliards en 2019, l’Etat dépense à tout va tandis que l’effondrement économique fait baisser ses recettes fiscales. Dépenses et recettes ne sont pas sous contrôle, l’évolution des déficits publics non plus. La projection 2020 est de l’ordre de 250 Milliards d’Euros, soit l’équivalent du budget de l’Etat … !

  4. Système hospitalier. Le dogme de l’Etat omniscient, seul capable de résoudre les problèmes, a orienté la plupart des cas de Covid vers l’hôpital public en excluant une partie du système hospitalier privé. Le système public s’en est trouvé saturé, ce qui a ajouté au mécontentement des fonctionnaires hospitaliers, déjà élevé depuis des décennies.

  5. Débat public. Certains remettent en cause l’objectivité des membres du Conseil scientifique (notons que celui des Allemands compte des psychologues, sociologues et économistes). D’autres ont mis en place des traitements qui paraissent avoir eu des résultats positifs. Le paysage politico-médiatique n’atteint pas les niveaux d’inclusion, de transparence et de sérénité nécessaires pour éclairer tous les esprits.

  6. Débat parlementaire. Comme sur tous les sujets, les décisions de gestion de la pandémie sont prises par une poignée de personnes. Confinement, soutien aux entreprises, primes aux hospitaliers... : le Parlement est consulté pour valider a posteriori, mais très peu impliqué a priori pour optimiser les diagnostics et les solutions. Nous sommes loin des modèles Suisse ou Allemand, dans lesquels les décisions sont toujours prises au plus près du terrain. Ce système français centralisé génère des retards de réaction alors que celui de nos voisins les place en anticipation, à l’image du plan de vaccination qu’ils commencent déjà à mettre en place, alors que le vaccin n’est pas encore là ! Ils ont un métro d’avance tandis que nous avons un métro de retard !

 

Le Chef de l’Etat affirme que le rebond était prévisible. Il prévoit même que les dégâts sanitaires seront aussi importants que pour la première vague, voire supérieurs. Aussi, pourquoi ne sommes-nous pas mieux préparés cette fois-ci ? Le retour d’expérience de la gestion de la première vague parait bien faible. En regard des Vacances apprenantes de l’Education Nationale, il faudrait que le gouvernement s’applique un même principe d’Etat apprenant !

 

Poursuite de l’affaissement

Autant de facteurs d’accélération de l’affaissement de la France… Et donc de raisons pour que les causes des colères perdurent et se renforcent :

 

  1. Influence de la France. Comment un pays peut-il rester audible lorsqu’il est en situation d’échec économique, financier, culturel, politique ? La force de la voix de la France ne peut qu’encore s’atténuer sur la scène mondiale.

  2. Croissance en K des inégalités. Face aux riches encore plus riches (parce que, pour la plupart, leurs ancêtres ont gagné au Monopoly immobilier, financier ou économique), les pauvres encore plus pauvres n’ont accès à aucun ascenseur social. Leur rébellion la plus courante est leur perte de confiance dans la société, traduite dans leur vote aux extrêmes. Les ultras gauche-droite ont de l’avenir !

  3. Les gilets jaunes de 2018 sont le produit des fractures sociales sur lesquelles Jacques Chirac a fait campagne en 1995. La montée du chômage ne peut que les faire croitre en quantité. La perception des insuffisances de l’Etat ne peut que les aviver en qualité. Comment ne ressurgiraient-ils pas dès la fin de la pandémie… ?

  4. Les islamatistes fanatiques croissent en proportion des musulmans. Ils vont profiter de la situation difficile de la France pour multiplier leurs violences et tenter d’imposer leur vision du monde encore plus vite.

 

Le système politique actuel s’avère impuissant pour prendre en main l’un quelconque de ces délitements, chacun nourrit à deux reprises par les deux confinements (croissance en W) et chacun nourrissant le risque latent d’explosion sociale.

 

Les scénarios

Quand un système ne convient plus, il faut en changer. Dans le contexte actuel, trois scénarios sont envisageables pour mieux prendre en mains les crises :

 

  1. Développement d’un despotisme masqué. Les dirigeants et les citoyens perçoivent que les contrepouvoirs perturbent leur capacité de décisions. Aussi, tous s’accordent pour réduire la quantité et la diversité d’acteurs impliqués dans le processus politique. C’est la spirale du resserrement des libertés publiques : non transparence, non débat, perte de légitimité des décideurs, montée des délinquances, des violences et de la sécurité imposée avec plus ou moins de discernement. Dans ce premier scénario, la société s’enfonce peu à peu dans un despotisme masqué, sans le vouloir ni même le savoir.

 

  1. Révolution de palais. Les électeurs attribuent l’inefficacité de l’Etat aux seules personnes qui le dirigent. Solutionner le problème revient alors à sortir les sortants. Mais, en période de transformation profonde, remplacer de bons techniciens de la chose publique par d’autres ne suffit plus : changer de personnes sans changer de méthode reste vain et laisse glisser la France dans l’endormissement. Qu’elle prenne le nom d’une VIème République ou d’un nouveau parti politique, cette seconde option reste superficielle tant qu’elle ne définit pas une méthode minutieuse d’évaluation des enjeux et propositions ouverte aux citoyens en quantité et dans leur diversité.

 

 

 

  1. Augmentation de la démocratie. Les citoyens assument leur responsabilité personnelle vis-à-vis de toute la cité. Il devient alors nécessaire d’instaurer le débat sur tous les grands enjeux, à tous les étages de toutes les sphères de la société. Cette révolution des méthodes de gouvernance produit la révolution des esprits pour construire une culture de responsabilité et de solidarité. Traité comme responsable de toute la cité, chaque acteur est doté de la possibilité d’exercer sa vigilance et son imagination au profit de tous. Participant à l’innovation utile et la transformation constructive, chacun développe le respect des personnes, des faits, des idées et des croyances. Cette troisième alternative ne nécessite pas de changement institutionnel, ni même d’élections. Quelles que soient leurs orientations idéologiques, les décideurs peuvent mettre en œuvre cette philosophie démocratique. Il leur suffit de maîtriser la méthode et les outils du dialogue.

 

N’oublions pas que la crise sanitaire se superpose à plusieurs autres, chacune plus importantes que les autres : réchauffement climatique, affaissement énergétique, épuisement des matières premières, montée de la pauvreté, poussée démographique, migrations incontrôlables, insécurité informatique…  Ces changements vont tous percuter nos possibilités, nos certitudes, nos habitudes, nos envies, nos projets. Nos existences au quotidien, mais aussi nos destins vont être bouleversés. Tous, nous allons devoir recomposer notre philosophie de vie, nos organisations, nos habitudes, nos savoirs et compétences.

 

Qui peut prétendre déjà connaître tout seul tous les impacts de tous ces phénomènes ? Qui peut prétendre détenir seul toutes les solutions et savoir les faire accepter par tous ? Qui peut croire celui ou celle qui le prétend ? Le temps des promesses électorales et des petites phrases est révolu ! Il faut sortir de l’ère du discours pour tous et entrer dans celle du dialogue avec tous.

 

Les processus d’introspection et d’interaction individuels et collectifs doivent être réinventés. Débattre n’est pas une option. C’est la seule méthode pour que les décisions dépassent les intérêts particuliers et embrassent l’intérêt général, pour qu’elles soient à la fois plus éclairées et mieux acceptées. Pour augmenter le respect mutuel avec ses proches, ses voisins, ses collègues, il nous faut apprendre à réfléchir ensemble. Mieux : il nous faut savoir faire réfléchir ensemble. S’il faut ajouter un devoir, c’est celui de participer au débat pluriel…et même de l’organiser dans ses sphères personnelle, professionnelle et sociétale !

 

Attendre qu’un nouveau messie ou une nouvelle République surgisse avant ou après une prochaine catastrophe sanitaire, économique, sociale, politique, climatique ou énergétique n’est pas raisonnable : il sera alors à la fois trop tard car plus difficile de se relever et trop tôt car l’histoire montre que les crises produisent rarement le meilleur.

 

Le rebond positif ne peut venir que des citoyens : citoyens, à vous d’organiser de vrais dialogues, lors de chacune de vos interactions avec vos interlocuteurs d’aujourd’hui !

Chronique du 01/11/2020 LaTribune

Ce site utilise des cookies Réglage Accepter