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La Grèce, l'Europe et le citoyen Article publié le 8 juin dans l'hebdomadaire la Tribune: » Lire l'article en ligne

Les villes Grecques se sont transformées en cités républicaines les premières voici 25 siècles. Cette gouvernance politique, en organisant la faculté du citoyen à exercer son libre arbitre actif, a libéré l’innovation intellectuelle dans les sciences, les arts, la littérature… Pourquoi donc un tel peuple est-il face à de telles difficultés en 2012 ? La démocratie n’est pas un long fleuve tranquille. Si son avènement dans la Grèce antique rend toute notre civilisation redevable aux Grecs encore aujourd’hui, le retour d’expérience se doit néanmoins d’être objectif si l’on se veut dans le Logos.

Accouchement démocratique non sans douleurs

L’implication progressive des citoyens dans la gestion des affaires publiques s’est opérée de façon non uniforme dans la forme et dans le temps. Dans les cités aux systèmes politiques les plus démocratiques, le statut de citoyen est resté soumis à des conditions qui en réservaient l’octroi à une fraction de la population, une petite minorité excluant, voire oppressant, les femmes, les hilotes, les esclaves, les migrants de moins de deux générations. Limitant l’accès des dominés à l’éducation, les humiliant parfois, les contraignant souvent y compris par la violence, le système politique morcelait le corps social. L’équilibre des relations entre castes et dans les castes dominantes était en recomposition continue au sein même de chaque cité.

Il en allait de même entre les cités, qui composaient des alliances par groupes, sous la domination de l’une d’entre elles. Le vainqueur, asservissant souvent les vaincus et imposait sa gouvernance qui relevait donc bien peu de la démocratie. Aussi, la concurrence entre les groupes fédérés produisait-elle des recompositions des alliances elles-mêmes, mais aussi des guerres fratricides et des hégémonies successives. Ainsi, l’exclusion des masses au sein des cités et la domination d’une cité sur un groupe de cités  étaient-elles deux freins à la démocratie telle que nous la voyons trop souvent du haut de nos 25 siècles de recul qui lavent plus blanc que blanc.

L’autorégulation est en réalité restée un idéal inatteignable. La Grèce antique n’a été unie qu’au début du Vème siècle, face aux périls des invasions Perses.

22 siècles d’occupation

Seuls des conquérants extérieurs ont réussi à unifier l’ensemble du territoire dans un même ensemble politique : Philippe de Macédoine, Les Romains de Rome, puis ceux de Constantinople. Certes, le Saint Empire Romain d’Orient bien que basé à l’extérieur du Péloponnèse, pratiquait le Grec. Mais sa combinaison très étroite avec les chrétiens l’a conduit à imposer son dogme orthodoxe à tous les territoires dominés, ce qui a constitué un terreau de contestation du pouvoir central. La rupture de la cohésion sociale a été consommée au cœur même de la Grèce avec l’arrivée des régulateurs croisés et vénitiens. Puis, sur la base du système spirituel Musulman apparu très tôt dans les territoires reculés de l’Empire,  les Ottomans sont devenus des décideurs dont les valeurs n’ont jamais été celles des Grecs occupés.

Ainsi, jusqu’en 1830 et depuis le sac de Corinthe en -146, voire depuis le père du Grand Alexandre venu du nord, la Grèce n’a plus vraiment été dirigée par des Grecs. Or, là comme partout, lorsque les règles sont ressenties comme imposées, les décisions des dirigeants sont contournées par les dirigés. Aussi, ce peuple a développé des réflexes de gestion de ses envahisseurs : il a appris à s’organiser en dehors des règles édictées par des décideurs extérieurs à son territoire, son sang, sa langue, ses croyances et ses valeurs pendant vingt-deux siècles. A l’aune de cette perspective à longue focale, les Grecs qui ne payent pas leurs impôts et ne respectent pas le code de la route ne sont pas vraiment répréhensibles : à leurs yeux, ils font ce qu’ils doivent selon leurs réflexes culturels profonds constitutifs de leur èthos, lequel dépasse toujours la conscience individuelle quotidienne. Soyons-en sûrs, chaque Grec d’aujourd’hui, et aussi d’hier, est responsable de la situation de la Grèce, mais aucun Grec ne se sent vraiment et n’est tout à fait coupable. Aussi, attention aux plans de sauvetage à court terme qui s’imposeraient aux Grecs comme une sanction en ne traitant que le seul volet de la restructuration des dettes à coups de baguettes magiques et chimériques !

La Grèce : un test pour l’Europe

Ce qui fait société durable, c’est la volonté de vivre ensemble. Pour activer la responsabilité personnelle de chaque Grec vis-à-vis de sa – de notre - société, la seule voix raisonnable et entraînante consiste donc à impliquer tous les Grecs dans la co-construction de l’analyse de la situation exacte de la Grèce et dans la co-définition des choix de vie collective qu’ils souhaitent mettre en œuvre eux-mêmes. Or, aucun acteur politique, ni en Grèce ni ailleurs, ne parvient à prendre en charge les grands enjeux comme l’endettement public, l’emploi, la santé, la retraite, le climat, les matières premières.

L’Europe, également en souffrance de manque de projet pour avoir atteint – pour l’instant – celui de faire la paix entre des peuples qui a présidé à sa fondation, doit assumer elle aussi la nécessité croissante d’impliquer le citoyen européen dans les projets européens.

L’Union Européenne se doit donc d’inventer une méthode qui aidera chaque Européen à dépasser ses seuls intérêts particuliers à court terme pour inventer la société de demain.

La crise Grecque, outre sa préfiguration de ce qui peut advenir ailleurs et bientôt, constitue donc plutôt l’opportunité d’affirmer le projet Greco-européen de poursuivre la construction du Logos à travers de nouvelles méthodes de débat public organisé à grande échelle. Seul ce Logos collectif fondera notre penser ensemble, entre Grecs, et entre européens !

Jean-François Chantaraud

Directeur de l’Odis – Observatoire du Dialogue et de l’Intelligence Sociale.

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